Réforme des retraites : une mobilisation mise en échec Un bilan indispensable
Alors que les salariés, et notamment les personnels de l’enseignement, ainsi que la jeunesse vont devoir faire face aux nouvelles attaques décidées par Macron, en particulier l’instauration du Pacte, la mise en œuvre élargie du SNU (Service national universel), la loi Darmanin, etc… il est nécessaire de tirer un bilan des 5 mois de mobilisation contre la réforme des retraites : comment en effet reprendre le combat si l’on ne dégage pas les raisons qui ont conduit cette mobilisation exceptionnelle à l’échec ?
Ampleur de la mobilisation
La première caractéristique de cette mobilisation est son ampleur, et sa durée : (5 mois), rythmée par 14 journées de manifestations et de grèves. Les manifestations regroupèrent à plusieurs reprises des millions de manifestants.
L’interpénétration des contraires
L’unité des organisations syndicales a été réalisée de bout en bout (de septembre 2022 à juin 2023) et traduisait l’aspiration au combat uni. Cette unité a, au moins dans un premier temps, encouragé les salariés à participer aux manifestations (cette intersyndicale est constituée de huit organisations présentées dans l’ordre suivant : CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, UNSA, Solidaires, FSU, et des organisations étudiantes suivantes : UNEF, VL, FAGE, FIDL, MNL).
Mais cette unité s’est réalisée sur une orientation particulière, celle du dialogue social, de la discussion d’un inacceptable projet de loi contre les retraites préparé par le gouvernement. En attestent notamment les Communiqués de presse (CP) publiés durant l’automne, et les discussions avec le gouvernement. « Les organisations syndicales se disent ouvertes pour mener des concertations qu’elles souhaitent loyales et transparentes » affirme le communiqué de presse du 3 octobre. L’intersyndicale a attendu la publication du projet gouvernemental qui ouvrait la voie à la discussion parlementaire pour décider de l’action.
Corrélativement, jusqu’au 19 janvier, l’intersyndicale rejetait certes plusieurs aspects majeurs de ce projet (âge de départ à la retraite et nombre d’annuités de cotisations) mais n’exigeait pas le retrait de l’ensemble du projet : rien par exemple concernant la liquidation de régimes spéciaux (et silence concernant les menaces sur le code des pensions).
image : Forme de luttes, Pierre Maillard
Il y avait donc la nécessité (et la possibilité) de combattre durant cette phase initiale (de septembre 2022 au 19 janvier) contre l’orientation de l’intersyndicale, sans attendre la première journée d’action. Mais bien rares furent les organisations et courants politiques et syndicaux à impulser une orientation alternative, pour le retrait pur et simple du projet de réforme et la rupture des discussions. Ce fut notamment le cas d’une poignée de militants enseignants (Émancipation). Ainsi, lors du CDFN (Conseil Délibératif Fédéral National) de la FSU du 21 septembre 2022, la tendance Émancipation « demande le retrait pur et simple du projet de loi Macron sur les retraites, qui n’est ni négociable ni amendable ».
De même, le 16 novembre 2022, à la CA académique du SNES de Lyon, les militants Émancipation présentent une motion qui se conclut ainsi : « la CA académique du SNES de Lyon se prononce pour le retrait pur et simple du projet de réforme des retraites. Elle demande à la direction nationale du SNES et de la FSU de se prononcer en ce sens et de quitter les concertations visant à mettre ce projet de réforme en place ».
A l’inverse de cette position, le Communiqué de presse du 5 décembre de l’intersyndicale commence par indiquer : « Les consultations en cours concernant notre système de retraite ont été une nouvelle occasion pour les organisations syndicales de faire des propositions dont aucune ne nécessite une réforme paramétrique. ».
Cette première période (septembre 2022- janvier 2023) est donc décisive : elle peut être considérée comme une phase préparatoire à l’action gouvernementale, et facilitant son offensive.
L’inflexion du 19 janvier
En dépit du caractère de journée d’action (correspondant à l’orientation de l’intersyndicale) la participation fut énorme ; cela contraignit l’intersyndicale à infléchir son orientation, et à reprendre à son compte ce qu’exprimaient les manifestants. Le CP du19 janvier de l’intersyndicale titrait ainsi : « Une puissante mobilisation qui oblige au retrait ».
En même temps les directions syndicales ont refusé de donner une dimension politique à ce combat, elles ont refusé de fixer l’objectif d’infliger une défaite à Macron et à son gouvernement, alors que rapidement dans les manifestations s’est exprimée la volonté de combattre Macron (dans les sonos, sur les pancartes, les banderoles).
« Un combat social, pas politique »
Sur ce plan, c’est la CFDT qui a été la plus claire. Laurent Berger affirme ainsi que « notre mobilisation n’est pas politique (…). La CFDT est dans un combat social, pas politique » et qui explique en même temps : « on dialogue beaucoup avec les parlementaires ces temps-ci (…) ça fait partie de notre travail syndical. » (Le Monde du 29 janvier).
Mais les autres directions sont sur la même ligne. Loin de répondre à ce qu’exprimaient les manifestants - la volonté d’en finir avec ce gouvernement, d’infliger une défaite majeure à Macron, le battre et le chasser – toutes les directions syndicales cherchent à légitimer Macron, demandant à plusieurs reprises au Président qu’il veuille bien les recevoir. Le 28 mars (sur France Inter), Laurent Berger réaffirme : « il faut trouver une voie de sortie » et précise : « Il faut mettre sur pause, en suspens, la mesure des 64 ans », « Il faut prendre un mois, un mois et demi, pour demander à une, deux, trois personnes de faire de la médiation, de la conciliation ».
Ce même 28 mars, Philippe Martinez reprend cette proposition à son compte : « Compte tenu de la mobilisation qui ne faiblit pas, on a proposé une nouvelle fois au président de la République de suspendre son projet et de nommer une médiation. C’est la proposition qui a été faite par l’intersyndicale. Nous allons écrire au président de la République pour valider par écrit cette proposition », ce qui provoque des réactions hostiles au sein du congrès de la CGT. « Camarade Philippe Martinez, qui t’a donné mandat pour parler de médiation alors que les travailleurs sont dans la rue ? », l’a interpellé Murielle Morand, de la fédération de la chimie.
Le syndicat Force Ouvrière a également apporté son soutien à la proposition de Laurent Berger.
Ce même jour, au congrès de la CGT, Philippe Martinez voit son bilan désavoué (Le rapport d’activité est rejeté à plus de 50%). Mais peut lui chaut : l’objectif n’est pas d’infliger une défaite à Macron mais de tenter une conciliation, ce qui ne peut qu’encourager Macron à être intransigeant.
De cette orientation s’en suit une avalanche de journées d’action (parfois 2 dans la même semaine) séparées de période sans actions (vacances scolaires) de plus en plus longues (six semaines entre le 1er mai et le 6 juin).
Un calendrier très politique
Si l’intersyndicale prétend ne pas mener de combat politique, le calendrier des 14 journées d’action est déterminé par le calendrier politique du gouvernement.
- La première journée d’action du 19 janvier est décidée le jour où le gouvernement rend public (10 janvier) le texte qui sera présenté au conseil de ministres le 23 janvier.
- la deuxième journée (31 janvier) s’intercale entre cette présentation et le début de la discussion du texte à l’Assemblée (6 février).
- la 3e, (le 7 février), la 4e (11 février) et la 5e (16 février) ont lieu durant le débat à l’Assemblée, pour faire « pression » sur les parlementaires, la date du 16 étant déterminée par la date prévue du débat sur l’article 7 (âge de départ à la retraite). Mais le 17 février, c’est la fin brutale du débat à l’Assemblée (recours à l’article 47-1).
- La 6e journée (le 7 mars) et la 7e (le 11 mars) correspondent aux débats prévus au Sénat. Mais le 10 mars, les débats s’arrêtent brutalement au Sénat (recours à l’article 44.2).
- La 8e journée (le 15 mars) est choisie parce que doit se tenir la commission mixte Assemblée-Sénat, à la veille du vote final prévu à l’Assemblée le 16 mars (mais le 16, recours à l’article 49.3).
16 mars : recours au 49.3 et mouvement spontané
Fait notable : ce jour du 16 mars, l’intersyndicale n’a convoqué aucune manifestation de masse mais les dirigeants syndicaux prévoient de se retrouver, seuls, devant l’Assemblée nationale, comme s’il s’agissait d’éviter une confrontation entre les manifestants et l’Assemblée, en particulier en cas de vote de la loi ou de recours à l’article 49.3. Ils tiendront une conférence de presse….
Laurent Berger tente de justifier cette décision : les leaders syndicaux « ne feront pas rien jeudi » (sur RTL le jeudi matin) et Frédéric Souillot, secrétaire général de FO, précise : « Il y aura un rassemblement de l’ensemble des numéros 1 syndicaux devant l’Assemblée nationale à 12h30 et des actions dans tous les départements, devant les préfectures et sur les places des villes de France ». (Le Parisien).
Ce jour-là, les dirigeants syndicaux sont donc seuls devant l’AN quand, un peu avant 15 heures, il est annoncé que la Première ministre dégaine brutalement le 49.3. Justification ? Emmanuel Macron invoque des « risques financiers trop grands ».
Des manifestations spontanées éclatent alors à Paris et dans d’autres villes. Plusieurs milliers de manifestants se retrouvent place de la Concorde, face à l’Assemblée nationale.
Des actions militantes se multiplient (grèves reconductibles, manifestations sauvages le soir et blocages en journée). Des dépôts de bus sont bloqués et la grève perdure dans la collecte des ordures ou les infrastructures portuaires.
Le samedi 18 mars, des manifestations ont lieu dans divers quartiers de Paris. Des rassemblements improvisés ou organisés ont lieu dans de nombreuses villes.
De son côté, le groupe parlementaire LIOT annonce qu’il déposera une motion de censure transpartisane. Les députés de la NUPES et ceux du RN annoncent dans la foulée qu’ils la voteront… Les dirigeants syndicaux saluent ce projet de motion de censure.
Motion de censure qui est rejetée « de justesse » le 20 mars : il ne manque que 9 voix car, malgré les décisions de leur parti, 19 députés LR (sur 61) ont voté la motion. Le gouvernement considère que le projet de loi est donc adopté.
Nouvelles manifestations spontanées dans tout le pays, le gouvernement en dénombrant plus de trente. Des dépôts de raffinerie sont bloqués, ainsi que le port de Marseille. Mais à peine 14% des stations services connaissent des pénuries partielles, parfois totales.
22 mars : interview télévisée de Macron, « droit dans ses (petites) bottes »
Le soir, des manifestations spontanées ont lieu à la suite de l’interview.
Et que fait l’intersyndicale durant ces jours décisifs (16 au 20 mars) où le mouvement spontané cherche à se frayer une voie ? Rien, si ce n’est qu’elle appelle « à des rassemblements syndicaux de proximité ce week-end » et renvoie au 23 mars, une semaine plus tard, l’appel « à une nouvelle grande journée de grèves et manifestations » (CP du 16 mars).
9e journée d’action le jeudi 23 mars : un regain massif de mobilisation
La CGT annonce 3,5 millions de manifestants dans plus de 300 villes (autant que le 7 mars). Le ministère de l’Intérieur, lui, n’en a vu qu’un peu plus d’un million. C’est la première fois que la CGT et l’Intérieur recensent autant de monde à Paris depuis le début du mouvement (800 000 pour la CGT).
Les deux journées d’actions suivantes ont lieu le 28 mars (pour la 10e journée), et le 6 avril (pour la 11e journée). Elles visent à canaliser la colère des salariés. Le Conseil Constitutionnel (saisi notamment par l’intersyndicale) doit rendre son avis le 14 avril. Une 12e journée d’action est donc fixée au 13 avril.
Le 14, le Conseil valide la loi, immédiatement promulguée. L’intersyndicale demande au Parlement une nouvelle délibération… Reste désormais à l’intersyndicale à organiser le reflux. La 13e journée est donc fixée au 1er mai, deux semaines plus tard (tout en étant conduite à suspendre provisoirement le dialogue social). Puis une 14e journée et dernière est fixée au 6 juin, date choisie parce qu’à l’avant veille d’une ultime échéance parlementaire. Le Communiqué de Presse du 1er mai indique en effet :
« L’intersyndicale se félicite de la proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites qui sera à l’ordre du jour le 8 juin prochain à l’Assemblée nationale ».
Ce qui atteste d’une chose : l’intersyndicale, loin de ne pas mener de combat politique, agit politiquement pour protéger le gouvernement et sa majorité croupion face à la colère des masses qui veulent en finir avec ce gouvernement..
Les formes d’action découlent de ces questions
Journées d’action ? Grève reconductible ? Grève générale ? Manifestation centrale à Paris ?
Le dispositif des journées d’action correspond à l’objectif politique : « faire pression », aménager le projet de loi, préserver le dialogue social, éviter l’affrontement politique. Son corollaire est, dans l’enceinte du Parlement, l’agitation de la NUPES, de la F.I. notamment, les batailles d’amendements, les motions de censure, les appels à referendum… le tout dans le cadre verrouillé des institutions de la Ve République.
C’est durant ces journées d’action que se sont tenues la quasi-totalité des manifestations et l’écrasante majorité des grèves tant du privé que du public, grèves ainsi limitées à 24 heures de manière plus ou moins répétées.
Les grèves reconductibles ? Elles ont touché pour l’essentiel plusieurs secteurs (énergie, SNCF et RATP, éboueurs) et ces grèves ne sont pas spontanées mais sont cadrées par les appareils syndicaux, ceux de la CGT notamment, qui les « proposent » aux salariés de ces secteurs. Souvent, elles ne concernent qu’une partie des salariés (bloquant ainsi les expéditions des raffineries davantage que la production). La grève reconduite a touché, en partie ou en totalité, les 7 raffineries du pays un mois durant. Le plus souvent, elle fut engagée à partir du 7 mars et elle prit fin entre le 4 avril et le 11 avril.
Elle prit fin sous la pression des réquisitions et de la répression (plus efficaces lorsque cela concerne les seules expéditions) et « par lassitude » selon le secrétaire CGT à ESSO-Exxon-Mobil de Seine Maritime.
Jamais elles ne « bloquèrent le pays » (ni ne visèrent à bloquer le pays, comme cela commença à être le cas en octobre 2022 pour des revendications salariales).
En termes d’orientation, elles furent conçues comme une « extension » des journées d’action prolongées de 24 heures, puis de 2 ou 3 jours, sur la même orientation que l’intersyndicale, sans jamais remettre en cause la recherche du dialogue social ni dégager l’objectif d’un affrontement avec le gouvernement, pour lui infliger une défaite. Dans ces conditions, ces grèves ne pouvaient jouer un rôle d’entraînement pour la masse des salariés.
Journées d’action permanentes ?
C’est pourtant ce qu’ont prétendu faire les initiateurs d’appels « à la grève reconductible » qui étaient, de fait, des appels à reconduire les journées d’action. Et non des outils pour préparer la grève générale, grève politique s’il en est.
Significatif est, sur ce plan, un appel publié dans le JDD du 29 janvier (contresigné par 300 syndicalistes, intellectuels et militants) :
Cet appel valorise les décisions de quelques appareils syndicaux. Titré « les journées d’action de vingt-quatre heures, même massives, ne suffisent pas », il commence ainsi : « les raffineurs de la Confédération Générale du Travail (CGT) ont proposé un calendrier visant à aller vers une grève reconductible. Après une grève de soixante-douze heures à partir du lundi 6 février 2023, ils proposeront ainsi la grève reconductible avec si nécessaire l’arrêt des installations aux travailleurs de leur secteur. Cette stratégie (…) peut être un véritable point d’appui pour construire une large grève reconductible ».
Et le texte de conclure sur l’objectif de faire de la journée d’action fixée au 31 janvier une journée « encore plus forte que celle du jeudi 19 janvier 2023 qui marque le début d’une dynamique de grève reconductible généralisée, pour faire retirer la réforme et pour imposer une défaite majeure à Emmanuel Macron et son monde ». Comme si une journée d’action pouvait être le point de départ d’une mobilisation imposant une défaite majeure au gouvernement.
Sans dire un mot de la nécessité d’en finir avec le dialogue social.
Un second appel, (publié le 5 avril dans Politis), idéalise l’état réel de la mobilisation. Il ne s’agirait donc plus que de poursuivre et de durcir la mobilisation. Et l’intersyndicale est critiquée pour son refus de généraliser la grève reconductible et sa volonté d’apaisement : « La situation appelle donc un durcissement de la grève ».
Or, en dehors de quelques secteurs, les AG décidant de « reconduire » la grève furent rares, et les reconductions fort limitées dans le temps et dans l’espace.
Des reconductions difficiles
Christian Mahieux (dans un bilan titré : « Six mois de manifestations et de grèves : On en cause ? » ) donne les éléments suivants « La difficulté de ce mouvement a été la mise en œuvre de grèves reconductibles. Les cheminotes et cheminots l’ont tenté, à l’appel des fédérations CGT, UNSA, SUD-Rail et CFDT. Mais la (relative) faiblesse apparait sur deux plans :
• Dès le 7 mars, le pourcentage de grévistes était inférieur à ce qu’on a connu lors de grèves antérieures, motivées aussi par des attaques contre les retraites. 41,29% le 7 mars 2023, alors que c’était 61% le 24 novembre 1995, 62,40% le 12 mai 2003, 61,47 le 14 novembre 2007 (et 71,90%, le 14 octobre), 50,50 le 5 décembre 2019.
• En partie de ce fait, mais aussi pour d’autres raisons (dont la faiblesse des assemblées générales et une volonté forte de "ne pas y aller seul∙es"), la reconduction a été difficile. Au deuxième jour de la grève, il y avait 18,99% de grévistes, 11,93 au troisième, 8,40% au quatrième. (…)… La seconde semaine de grève de mars 2023 s’est faite avec des chiffres oscillant entre 4 et 6% (hormis un « temps fort » à 15,61%) ; on est tombé entre 2 et 6% la troisième semaine (excepté pour la journée du 23 : 26,98%). ».
Les chiffres sont illustratifs des difficultés rencontrées.
Certes, il y a le fait que le statut des cheminots avait déjà été brisé, (Christian Mahieux précise à propos des régimes spéciaux : « Un de ces régimes emblématiques était celui de la SNCF, sa fin a déjà été programmée par une loi de 2018 »).
Mais il n’évoque pas pour autant la puissante et victorieuse mobilisation des contrôleurs de la SNCF de décembre 2022 qui atteste des capacités de combat toujours vivaces des travailleurs de ce secteur décisif.
D’une manière générale, ce qui a manqué, c’est notamment un outil, un levier (que pouvait être la manifestation centrale) sur la base préalable du refus du dialogue social, et sur l’objectif politique d’infliger une défaite à Macron et à son gouvernement. La préparation d’une telle manifestation permettait de centraliser le combat, incitant donc et encourageant à l’auto-organisation du mouvement sur cet objectif et à sa coordination. Cela impliquait de cesser immédiatement de légitimer Macron et son gouvernement, question centrale.
Cette absence de coordination a accentué la tendance à l’émiettement des tentatives de reconduction.
Dans ces conditions, le mouvement n’a pas acquis la puissance nécessaire permettant à la grève générale de s’imposer, fusse comme mot d’ordre d’action.
Grève reconductible ou grève reconductible ?
Précisons encore : cette formulation est trompeuse, et peut recouvrir des réalités différentes, voire opposées. Dans certaines mobilisations antérieures, en particulier à l’université, la puissance du mouvement spontané permit de s’engager dans la constitution d’une coordination nationale de délégués mandatés par des AG de grévistes, et intégrant les syndicats. C’est une telle coordination (souvent hebdomadaire) qui reconduisait la grève (appelait à la reconduire), précisait les mots d’ordre, etc. De facto : une grève générale sous contrôle des grévistes. Une telle structuration ne règle pas toutes les difficultés, ne garantit pas le succès, prend rarement une forme « pure », aboutie. Mais constitue un outil essentiel. Deux exemples :
image : Forme de luttes, Alex Jordan
En 1986, contre le projet de loi Devaquet, la mobilisation se structure avec une coordination nationale (27 novembre, 2 décembre, 6 décembre et 11 décembre) ; la Coordination du 27 novembre la première véritable Coordination Nationale Étudiante, comptait environ trois cent cinquante délégués, élus par faculté, tous munis d’un « mandat » : mener à bien le mouvement jusqu’au retrait pur et simple du projet Devaquet.
Cette Coordination Nationale se prononça « pour la poursuite de la grève générale des universités », et décidait notamment d’« organiser une manifestation centrale à Paris le jeudi 4 décembre ». Il y aura 1 million de manifestants. C‘est alors que Malik Oussékine sera tué par la police.
Le 8 décembre, Chirac capitule, le projet est retiré, Devaquet démissionne (ainsi que le ministre Monory de l’enseignement).
En 2006, la coordination nationale étudiante pour le retrait du CPE (Contrat première embauche) se réunit chaque semaine entre le 18 févier et le 6 mai, celle du 5 mars appelant à la grève reconductible des étudiants et celle du 17 mars appelant à la grève générale. Le CPE fut enterré.
Mais ce type de reconduction (1986 ou 2006) - n’a bien sûr rien à voir avec les grèves dites « reconductibles » impulsées et contrôlées par les appareils syndicaux de janvier à avril 2023.
On cherchera ainsi en vain une coordination nationale des grévistes des raffineries désignant leurs délégués. (Et on laissera ici de côté une éphémère Coordination Nationale Étudiante réunie les 8 et 9 avril 2023) bien peu représentative d’une mobilisation de masse.
On ne vit pas non plus de structuration « spontanée » telle qu’il en fut organisé, en décembre 2022, par les contrôleurs de la SNCF : un collectif national (le CNA) regroupant 3500 contrôleurs, centralisant et reconduisant l’action, un outil qui permit aux grévistes de gagner sur l’essentiel. (cf. article Décembre 2022 : succès de la grève des contrôleurs face à la direction de la SNCF et au gouvernement).
Pour un mot d’ordre centralisateur
Il n’y a pas lieu de fétichiser le mot d’ordre de manifestation centrale, qui n’est efficace que dans certaines situations précises. Mais la situation ouverte fin janvier impliquait d’avancer un tel mot d’ordre.
Le mot d’ordre de manifestation centrale pouvait alors être un point d’appui, une transition vers la grève générale. S’inscrivent dans cette démarche l’appel du collège Malraux de Marseille (27 janvier), ou celui de l’Université de Toulon (s’adressant aux organisations syndicales) : « Le mot d’ordre, c’est retrait du projet de "réforme" des retraites et donc vous ne devez accepter aucune discussion avec le gouvernement sur sa réforme qui n’est ni amendable, ni négociable. Urgemment, convoquez une immense manifestation nationale de centaines de milliers de personnes devant l’Assemblée Nationale pour imposer au gouvernement le retrait de son projet de réforme ».
La question centrale du dialogue social
Ce dialogue a constitué l’essentiel de la phase initiale, ce qui cautionnait par avance le dépôt d’un projet de loi.
Au cours de la mobilisation, il s’est poursuivi avec le patronat (qui s’en est félicité) et, partiellement, avec le gouvernement.
Preuve à contrario de l’importance de cette question : la décision prise par l’intersyndicale (CP du 14 avril), au lendemain du recours au 49.3 pour faire passer la loi, de suspendre tout dialogue avec le gouvernement (« Attachées à un dialogue social de qualité », les organisations syndicales « décident d’ici le 1er mai de ne pas accepter de réunion avec l’exécutif »).
Mais alors, pourquoi avoir limité à 15 jours ce refus du dialogue ?
Un simple délai de décence, le temps que les travailleurs fassent leur deuil ?
Comment enterrer une puissante mobilisation ?
C’est la question centrale qui s’est posée aux bureaucraties syndicales à partir du moment où le 49.3 fut mis en œuvre, personne ne voulant être accusé de sortir le premier du champ de combat.
L’un des moyens utilisés fut l’étirement des intervalles entre 2 journées.
Ainsi, il fallut attendre 15 jours avant les manifestations du 1er mai, mais celles-ci, d’une ampleur remarquable, interdisait d’arrêter. On en a annonça donc une autre, fixée… 5 semaines plus tard
« Fin de partie » déclara la CFDT
Encore y eut-il des centaines de milliers de manifestants… et des casserolades.
Un autre outil fut le leurre parlementaire :
On fit croire d’abord qu’on pouvait bloquer le 49.3 à l’Assemblée. Puis, à deux reprises, on en appela à un referendum (RIP).
Puis on fit croire qu’un autre projet de loi pouvait défaire la réforme… sur la seule question de l’âge de départ à la retraite… avec un vote prévu le 8 juin : Fiasco encore !
Et maintenant ?
Macron ayant pu faire passer sa loi va s’appuyer sur ce succès pour poursuivre son offensive, sur tous les terrains (Pacte dans l’enseignement, SNU…) et y compris préparer une nouvelle étape de l’offensive contre les retraites : il va s’agir notamment de liquider le Code des pensions de la fonction publique d’État, et de s’attaquer au régime de retraites des agents de la territoriale et des hôpitaux publics. Quitte à être prudent vu son niveau d’impopularité. Mais sans renoncer : l’état catastrophique des finances publiques (poids croissant de la dette publique) l’exige et le patronat l’ordonne.
Pour les salariés, pour la jeunesse, cela ne peut que conduire à la reprise du combat, en essayant de tirer le bilan de la mobilisation contre la réforme des retraites, en dégageant les causes de l’échec.
Cela impliquera en particulier d’explorer la voie que les contrôleurs de la SNCF avait commencé d’ouvrir en décembre, celle de l’auto-organisation permettant aux salariés y compris de mettre les syndicats à leur service.