Le lobbying des Églises : contre le droit à l’avortement en Argentine. Et, avec Macron, en France ?
Le lobby de l’Église en Argentine
Alors que des milliers de femmes et de filles se battent pour le respect de leurs droits sexuels et reproductifs, en Argentine, le 8 août, les sénateurs ont voté contre l’adoption du projet de loi dépénalisant l’interruption volontaire de grossesse pendant les 14 premières semaines de grossesse.
Depuis les évêques jusqu’aux derniers curés de villages, tous les ecclésiastiques se sont mobilisés contre l’IVG, menaçant ceux qui voteraient en faveur du projet de loi d’être excommuniés, mais aussi d’être sanctionnés par les électeurs lors du renouvellement de leur mandat. Et c’est en pensant à leur réélection, que certains sénateurs ont fini par se prononcer pour le rejet du projet de loi.
Depuis le Vatican, le pape a donné le ton en exprimant à deux reprises le rejet de l’avortement.
« Les évêques ont joué un rôle-clé dans le travail de lobby sur les députés et les sénateurs en écrivant aux indécis, leur rendant visite dans leur bureau, et dans certains cas, en ayant des attitudes plus ou moins belligérantes avec les pro-IVG », estime la sociologue Sol Prieto.
« Certains sénateurs partisans du texte ont reçu des boîtes avec des figurines en forme de fotus à l’intérieur, ou des menaces d’ex-communication ». Le Dauphiné Libéré 8/08/2018
Dans un article sur le site Lepoint.fr, Celeste Mac Dougall, porte-parole de « la Campagne nationale pour le droit à l’avortement légal, sans risque et gratuit » dénonçait :
« La pression de l’Église existe depuis toujours. Et ce n’est pas de la pression. C’est l’État. C’est d’ailleurs pour cela que nous réclamons une séparation effective de l’Église et de l’État, la fin de son financement et de l’ingérence des politiques publiques.
L’Église catholique profite également de son influence auprès de ses milliers de fidèles pour diffuser son opinion. À plusieurs reprises, lors d’offices du dimanche, elle a nommément désigné des parlementaires afin de les dissuader de voter "oui" au projet de loi ».
En raison de la législation actuelle en Argentine, plus de 3 000 femmes ont perdu la vie au cours des 30 dernières années, et chaque année 49 000 Argentines mettent leur vie et leur santé en danger.
Et en France ?
À Paris, le 9 avril, Macron déclarait devant les 400 invités de la Conférence des évêques de France (CEF) réunis sous la nef prestigieuse du collège des Bernardins :
« Nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer » (.)
Et il poursuivait : « Ce à quoi je veux vous appeler ce soir, c’est à vous engager politiquement dans notre débat national et dans notre débat européen car votre foi est une part d’engagement dont ce débat a besoin et parce que, historiquement, vous l’avez toujours nourri car l’effectivité implique de ne pas déconnecter l’action individuelle de l’action politique et publique ». (1)
Le 26 juin au Vatican, dans la basilique du Latran, Macron acceptait, le titre de « premier et unique chanoine d’honneur » remis par le pape.
Et d’expliquer : « j’ai décidé d’accepter cette invitation car elle appartient à une tradition de concorde et d’amitié entre la France et le Vatican à laquelle je suis attaché » et que je veux « approfondir ».
« La laïcité française qui parfois est un mystère, nous en avons longuement parlé ce matin avec sa sainteté le pape François. Mais ce n’est pas la lutte contre la religion, ce serait un non-sens. » En effet, « la laïcité ne serait pas une pudibonderie contemporaine où l’on dirait “ne me parlez pas de religion”, “cachez cette religion que je ne saurais voir”, car nous avons anthropologiquement, ontologiquement, métaphysiquement besoin de la religion et ma présence ici témoigne de ce “en même temps” ».
Au même moment, à Paris, les députés adoptaient un texte qui renforce le lobbying des Églises auprès des parlementaires.
Émancipation qui milite pour le strict respect de la séparation de l’Église et de l’État, et notamment contre tout financement des écoles privées par l’État porte à la connaissance de ses lecteurs la prise de position du CREAL76 qui agit en défense de la laïcité :
Communiqué du Comité de Réflexion Et d’Action Laïque de Seine-Maritime (CREAL76) à propos du projet de loi concernant les associations religieuses
Depuis la loi Sapin II de 2016, les associations religieuses venues rencontrer des parlementaires devaient, selon la loi, s’enregistrer auprès de la HATVP, Haute autorité pour la transparence de la vie publique, et fournir des informations sur leurs activités ; cela à l’instar de tous les lobbies déclarés. Or dans la nuit du 26 au 27 juin, à la demande du gouvernement, les députés ont adopté un texte sortant les associations à but cultuel de la liste des groupes d’intérêts devant faire une déclaration à la Haute autorité (article 38 de la Loi dite de confiance) ; et cela par un vote à trois voix près (88 contre 85).
Le texte revient devant le Sénat le 25 juillet.
Le lobbying des associations cultuelles pour ne pas être considérées comme des lobbies a donc payé : désormais quand Greenpeace demandera aux parlementaires de protéger les océans, quand Aides leur demandera plus de moyens pour lutter contre le VIH ou quand Amnesty les sollicitera pour une campagne, ce sera considéré comme l’action d’un lobby.Mais quand des associations religieuses viendront remettre en cause le droit à l’IVG, contester l’extension de la PMA à toutes les femmes ou toute évolution à propos de la fin de vie, cela ne sera plus considéré comme l’action d’un lobby.
Bref toutes les associations à but cultuel pourront désormais rencontrer les administrations publiques, le gouvernement, les élus et notamment les parlementaires pour les sensibiliser à leurs opinions et tenter d’influer leur prise de décision sans que quiconque en soit informé.
Les risques de dérives sont évidents notamment à l’heure de la révision des lois bioéthiques.
D’autre part, le premier alinéa de cet article 38 modifie l’article 19 de la Loi de 1905 en assouplissant les conditions fiscales d’accès au financement des cultes et ceci en violation de son article 2 stipulant que « La République ne reconnait, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». L’exposé des motifs de la Loi dite de confiance demandait d’ailleurs « des mesures de clarification et de modernisation du statut des cultes, en renforçant leurs ressources ».
C’est pourquoi le Comité de réflexion et d’action laïque de Seine-Maritime - CREAL76 - :
- dénonce la décision de retirer les associations religieuses de la liste des lobbies,
dénonce les mesures modifiant le financement des cultes,
considère le traitement de faveur accordé aux associations cultuelles comme une entorse aux principes de laïcité et de séparation des Églises et de l’État,
demande aux parlementaires attaché.e.s au principe politique de laïcité de se mobiliser pour s’opposer à de telles régressions.
Le président : Francis VANHÉE 10, chemin aux Anglais 76680 SAINT-SAËNS tel. 06 86 15 33 59 courriel creal76@creal76.fr
http://www.creal76.fr/medias/files/communique-assos-cultuelles-creal76-21.07.2018.pdf
Macron approfondit la politique de « laïcité ouverte » de Sarkozy, lequel situait « La catholicité au dessus des autres religions dans un choc des civilisations, le curé au dessus de l’instituteur, l’enseignement privé au dessus du public, notamment dans le zones difficiles ».
C’est ce que confirment les « contre réformes » menées par Blanquer : financement des maternelles privées, essentiellement catholiques par le biais de la scolarisation des 3 ans ; lycées professionnels mis sous la coupe du patronat avec l’extension de l’apprentissage et marche à la privatisation de l’Enseignement professionnel ; organisation de la fuite des étudiants vers le privé avec Parcoursup et association des universités privées dans les Communauté d’Université et établissement (COMUE) (cf. l’Université Catholique de Lyon, membre de la COMUE L’Université de Lyon), etc.
Plus que jamais, le combat en défense de la séparation de l’Église (à savoir de toutes les institutions confessionnelles) et de l’État et celui en défense de l’Enseignement public sont intimement liés.
HB
(1) Macron devant la conférence des évêques : http://www.elysee.fr/declarations/article/transcription-du-discours-du-president-de-la-republique-devant-les-eveques-de-france/