"Rénovation du dialogue social dans la Fonction publique" : Un projet de loi pour associer les syndicats à la dislocation du statut
Macron et son gouvernement s’appuient sur un "dialogue social" permanent dans la Fonction publique pour mettre en œuvre ce que le Président a annoncé dans sont programme de 2017, aller vers une "société sans statuts". Nous republions ici un article paru en 2009 dans la revue L’Émancipation syndicale et pédagogique (n°3 de novembre 2009). Suite aux accords de Bercy signés en 2008 par la CGT, la CFDT, l’UNSA, la FSU, la CGC et Solidaires, le "dialogue social" n’a cessé de se renforcer entrainant la mise en cause des acquis statutaires.
"Longtemps annoncée très contestataire, la rentrée se caractérise finalement par un regain de dialogue social, facilité par la sortie progressive du Medef de son mutisme". Ce constat fait par Les Échos en date du 7 octobre 2009 vaut pour le privé et aussi pour la Fonction publique. En effet, le gouvernement a prévu de faire adopter avant la fin de l’année 2009 la loi relative à la "rénovation du dialogue social dans la Fonction publique". De quoi s’agit-il ?
Ce projet de loi est la traduction fidèle de l’accord, signé le 2 juin 2008 par la CGT, la CFDT, l’UNSA, la FSU, la CGC et Solidaires.
Il faut rappeler que le même jour, Sarkozy présentait les grandes lignes de la réforme des lycées devant les Recteurs réunis dans la salle des fêtes de l’Élysée. Indiquant aux Recteurs qu’ils ont pour mission "notamment de moderniser la gestion" de la Fonction publique, Sarkozy commençait son allocution en évoquant "l’accord que viennent de signer avec E. Woerth et A. Santini six fédérations de fonctionnaires sur huit".
Et Sarkozy poursuivait ainsi : "Cet accord modernise profondément les règles de dialogue social dans la fonction publique qui n’avaient guère changé depuis 1946. C’est une étape historique. C’est un progrès vers davantage de démocratie sociale. C’est surtout un changement de culture. Dans la Fonction publique aussi, on peut trouver les voies d’un compromis ! Le secteur privé n’a pas le monopole de la démocratie sociale. Cet esprit de responsabilité notamment des signataires, je veux le saluer. C’est le signe d’une maturité collective. Et j’espère que ce n’est qu’un début.".
Il ne s’agissait pas de simples "louanges" démagogiques dans la bouche de Sarkozy. La "position commune" du 9 avril 2008 signée entre autre, par les dirigeants des confédérations CGT et la CFDT a permis le vote de la loi du 20 août 2008 portant "rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail". L’accord de Bercy et le projet de loi qui en est issu en sont la continuité. En quoi s’agit-il "un tournant historique pour la fonction publique" ?
L’élargissement à l’infini du champ des négociations
L’article 1 du projet de loi consacre le champ de la négociation dans le statut général.
Jusqu’alors, la négociation est limitée par le statut : seule l’évolution des rémunérations y est évoquée. Le projet de loi élargit le champ des négociations et débats. L’article 1 précise : "Pourront faire l’objet de négociations des sujets aussi porteurs de modernisation de la gestion des ressources humaines et de garanties pour les agents que le déroulement des carrières et la promotion professionnelle, la formation professionnelle et continue, l’action sociale et la protection sociale complémentaire, l’hygiène, la sécurité et la santé au travail ou l’insertion professionnelle des personnes handicapées".
Non seulement le cadre des négociations salariales est modifié, mais les négociations sont élargies au-delà des questions salariales et elles seront beaucoup plus déconcentrées.
Les négociations salariales pourront "faire l’objet de déclinaisons à tous les niveaux pertinents". Ainsi, les négociations relatives à l’évolution des rémunérations et au pouvoir d’achat, conduites jusqu’alors au niveau national pourront avoir lieu au niveau d’une fonction publique, d’un ministère, d’un service. Certes, en matière de négociation salariale, le principe de faveur s’appliquera (un accord local ne pourra être plus défavorable que l’accord national). Mais la mise en cause du cadre national de l’évolution des rémunérations ne peut que conduire à l’éclatement du cadre national de la grille salariale. Or, c’est un élément central d’unification des fonctionnaires. Cet "élargissement" s’intègre dans l’objectif du gouvernement de soumettre le salaire aux résultats ("accroître les performances" d’un service va de pair avec le salaire "au mérite", et le "travailler plus pour gagner plus").
Des accords collectifs contre le statut : le projet élargit le champ des négociations et débats à nombre de sujets qualifiés de "porteurs de modernisation de la gestion des ressources humaines" (sic). Dans tous ces domaines, les négociations pourront se tenir "au niveau pertinent", c’est-à-dire sans passer par un cadrage national (l’article 1 "donne un fondement juridique au développement de la négociation aux niveaux de proximité").
Dans ces domaines, les règles statutaires pourront donc être modifiées par des accords négociés et conclus à tous les échelons (du local au national). Le gouvernement veut ainsi renvoyer, à terme, un maximum de négociations au niveau des services. Cela introduit un formidable outil de démontage du statut national (de même que le Medef veut développer et utiliser négociations et accords d’entreprises pour disloquer les conventions collectives nationales).
Le texte fait explicitement référence aux négociations menées ces dernières années ("pratique alors non reconnue dans le statut"). L’exemple de l’accord du 21 novembre 2006 sur la formation professionnelle tout au long de la vie est illustratif : la formation rémunérée sur le temps de travail se limite aux stricts besoins des fonctions occupées. Sous couvert de "droits individuels à la formation", c’est la mise en cause, pour tout fonctionnaire, du droit à la formation de son choix, payée par l’employeur. Demain, l’agent restera "employable" s’il a les moyens de se former !
Jusqu’alors, dans la Fonction Publique, la place de la "négociation" était limitée du fait du statut. Selon Emmanuel Tuscherrer, le chef du bureau du statut général et du dialogue social à la DGAFP (1), l’enjeu de cette loi, "sera bien celui de diffuser une véritable culture de la négociation dans toute la fonction publique à travers un accompagnement des gestionnaires qui reste aujourd’hui à organiser" Avec ces nouveaux accords ce sont les préconisations du rapport Silicani qui doivent s’appliquer : publié en 2008, le Livre blanc sur l’avenir de la fonction publique fait suite à la conférence sur les valeurs-missions et métiers à laquelle les directions syndicales de fonctionnaires ont collaboré. Il prône le recrutement sous contrat, la promotion sur la base de la valeur professionnelle (appréciée par évaluation sur entretien), la capacité professionnelle (sur la base de bilan de compétences)…
Alors que le gouvernement mène l’offensive contre les garanties statutaires, le rôle assigné aux organisations syndicales est clair : participer à la "modernisation", c’est-à-dire à la liquidation des acquis statutaires. Ainsi, dans le cadre de la RGPP, on comprend aisément ce que signifie la "modernisation de la gestion des ressources humaines" : il s’agit, pour vaincre les résistances, d’associer les organisations syndicales aux restructurations issues des suppressions massives de postes et à l’application de la loi "mobilité".
Modification de la représentativité des organisations syndicales
L’article 3 supprime la présomption de représentativité. Comme au niveau interprofessionnel, les cinq confédérations FO, CGT, CFDT, CGC, CFTC ne seront plus considérées comme étant représentatives a priori ; les sièges qui leur étaient ainsi attribués (sièges "préciputaires") seront supprimés. Les critères de représentation sont modifiés :"toute organisation syndicale pourra se présenter à une élection professionnelle dès lors qu’elle vérifie deux critères : d’une part, exister depuis au moins deux ans dans la fonction publique où est organisée l’élection ; d’autre part, attester son indépendance et le respect des valeurs républicaines".
Ces dispositions permettront à de nouveaux syndicats de s’implanter. Aucun seuil n’est fixé dans le projet de loi pour l’instant. Pour autant, dans la Fonction publique, c’est le nombre de sièges dans l’instance de concertation qui détermine (et déterminera) la présence ou l’exclusion de telle ou telle organisation syndicale. Par exemple, un Comité technique de 30 ou 35 sièges permettrait la présence d’organisations moins représentatives ; un CT à 15 ou 20 les exclurait.
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Pour "renforcer le dialogue social", redéfinir les CTP et les CAP
La "modernisation" des instances de concertation a pour but de permettre l’association plus étroite des syndicats à la gestion de la politique définie par le gouvernement. Rappelons la situation actuelle concernant les instances institutionnelles organisant les relations entre syndicats et administration. Les actuelles Commissions administratives paritaires (CAP) sont des organismes élus par les salariés permettant aux représentants de syndicats de veiller au respect des règles statutaires : mutation et avancement selon un barème, le même pour tous. Les actuels Comités techniques paritaires (CTP) sont déjà des organes de "concertation" à l’intérieur desquels les représentants syndicaux sont amenés aux différents niveaux à "discuter" des mesures décidées par l’administration.
Dans le nouveau dispositif, la représentativité sera basée non plus sur les élections aux CAP mais sur les élections aux Comités Techniques (CT). Le paritarisme de ces instances sera supprimé : les CTP deviendront des CT. Les représentants du personnel de ces nouveaux Comités Techniques - Comités techniques ministériels (CTM) et Comités techniques de proximité (CT) - seront élus, ce qui n’est pas le cas dans la Fonction publique d’État pour les actuels CTP). Ceci aura pour conséquence d’accroître la "légitimité" de ces instances de concertation tout en dévalorisant les actuelles CAP dont le rôle de contrôle du respect des règles statutaires est appelé à disparaître. Ce projet de loi renforce donc les moyens "juridiques" permettant d’associer les syndicats à la liquidation des acquis statutaires, au "management" qui doit devenir la règle dans la Fonction publique.
Ce changement très important va de pair avec les articles 2 et 5 permettant aux "agents investis d’un mandat syndical" de voir leur "investissement reconnu au titre de la VAE" : leur avancement sera aligné sur la moyenne des agents de leur corps (l’accord de Bercy proposait de "favoriser des passerelles entre la carrière administrative et les fonctions syndicales" - sic).
On peut s’interroger : s’agit-il, d’améliorer la reconnaissance et la pratique du droit syndical, au moment où à Continental, à EDF, en Guadeloupe... dans l’enseignement nombre de militants sont victimes de mesures disciplinaires et/ou judiciaire ? Pas du tout. Cette "reconnaissance", et les moyens financiers et humains alloués aux organisations syndicales seront adaptés aux nouvelles réalités du dialogue social. C’est le moyen de faire "évoluer" le "droit syndical" en donnant une place prépondérante aux représentants syndicaux attachés aux structures de "cogestion". Cela va renforcer la bureaucratisation des élus, des dirigeants syndicaux et leur soumission aux instances de "cogestion". Et ce faisant, on veut marginaliser (voire "criminaliser") plus encore l’action syndicale indépendante du gouvernement et de l’administration.
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Conseil supérieur de la Fonction publique, nouvelle instance de "dialogue social"
Un Conseil supérieur de la fonction publique sera chargé d’examiner toute question d’intérêt général relative aux trois fonctions publiques. Cette nouvelle instance de "dialogue social" ne remplace pas les structures actuelles : Conseil supérieur de la fonction publique de l’État, Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière. Ce conseil (organisations syndicales, État, collectivités territoriales) inter-fonctions publiques se justifie par la volonté d’organiser la "mobilité" entre les trois Fonctions publiques (État, territoriale, hospitalière). Il examinera "des sujets tels l’évolution de l’emploi public, les problématiques de mobilité ou bien le dialogue social européen".
En ce qui concerne "l’emploi" et la "mobilité", quels sont les enjeux ? Il s’agit surtout d’élargir considérablement le transfert déjà engagé de la Fonction publique d’État (FPE) à la Fonction publique territoriale (FPT), tels les transferts des agents TOS de l’Enseignement public aux collectivités territoriales. Entre la fin 2006 et la fin 2007 [1], la Fonction publique territoriale a connu une augmentation de 5,2% de ses effectifs (plus 86 000 emplois ; 1,750 millions d’agents au total), les effectifs de la Fonction publique hospitalière ont augmenté de 1,6% (plus 17 000 emplois) ; ceux de la Fonction publique d’État ont diminué de 2,4% (moins 61 000 agents ; 2,4 millions d’agents au total). Par ailleurs, les agents non titulaires ont augmenté de 4,3% depuis 2006 ; ils représentent 16% des agents publics ; la majeure partie est dans la FPT (21% des effectifs contre 14% dans la FPE et la FPH). Or, en 2007, le salaire net moyen d’un agent de la Fonction publique d’État était de 2 244 euros par mois (en augmentation de 1,6% de 2006 à 2007), celui d’un agent de la Fonction publique hospitalière de 2 159 euros (2,7% d’augmentation sur la même période) et celui d’un agent de la Fonction publique territoriale de 1 708 euros (1,3% d’augmentation).
Ces chiffres permettent de comprendre l’intérêt financier qu’il y a pour le gouvernement à accentuer cette "mobilité" (par "l’incitation", la contrainte) ! De plus, le statut de la Territoriale est moins protecteur ; ainsi, il n’y a pas de corps, mais des "cadres d’emploi", lesquels correspondent, en général, à plusieurs métiers : ainsi un "rédacteur territorial" (cadre d’emplois de catégorie B de la filière administrative) peut notamment exercer le métier d’assistant comptable et budgétaire, de responsable du personnel ou de chargé de communication, selon ses aspirations, ses compétences, sa formation, son expérience professionnelle et les besoins de son employeur territorial. Le gouvernement veut imposer cette polyvalence à la Fonction publique d’État en fusionnant plusieurs corps en cadres statutaires (équivalent des "cadres d’emplois").
Enfin, une proposition de loi sur la Fonction publique territoriale déposée le 21 janvier 2009 à l’Assemblée stipule : "le statut actuellement en vigueur sera maintenu pour les fonctions « régaliennes » (« l’état civil ou la police par exemple »)" et "Pour les autres fonctions, le recours au contrat de travail de droit commun deviendra la règle"… Cela en dit long sur les objectifs du gouvernement : il s’agit d’engager la marche à la privatisation ! Rappelons qu’en Europe, les enseignants danois et italiens ont perdu leur statut de fonctionnaire en 1993 (en 1994 pour les lettons). En Lituanie, les enseignants sont devenus fonctionnaires en 1998, mais ils ont perdu ce statut en 2002. En Suède, ils ont perdu ce statut depuis les années 90 : chaque professeur est choisi par un comité comprenant le directeur de l’école, trois parents et deux élèves s’ils ont plus de douze ans !
Les "Comités Techniques" : soumettre les syndicats à la politique gouvernementale
Au-delà des questions "d’organisation et de fonctionnement des services", les Comités techniques seront saisis "des questions relatives aux effectifs, aux emplois et aux compétences, aux projets de statuts particuliers. Ils seront également informés des principales décisions à caractère budgétaire ayant des incidences sur la gestion des emplois." (art 8).
Ces Comités techniques n’étant plus paritaires, seuls les représentants des personnels voteront ; les représentants de l’administration varieront selon les sujets abordés.
Mais c’est l’administration prend les décisions : sa seule "obligation", sera de réunir ces instances, lesquelles donneront un simple "avis". Tout ce dispositif va amener les représentants syndicaux à discuter de la mise en œuvre de la politique gouvernementale (de l’échelle nationale à l’échelle locale), à se situer dans le seul cadre imposé par l’administration.
Ainsi, par exemple, les suppressions massives de postes vont conduire à l’augmentation du recrutement de contractuels. Le projet de loi indique : "Un décret précisera la liste des nouvelles compétences de ces instances". Or, le rapport Silicani propose que seuls les emplois exerçant des missions de souveraineté soient attribués aux agents titulaires ; et pour les autres missions, les emplois seront de plus en plus contractualisés. Dans le cadre des Comités Techniques, les représentants syndicaux seraient associés à l’évaluation des besoins en contractuels. Ils pourraient négocier des accords collectifs avec les employeurs publics pour l’ensemble des questions qui concernent ces contractuels. Ces accords collectifs auraient force obligatoire après leur approbation par décret ou par la loi). Mais le syndicat peut-il combattre pour le rétablissement des postes supprimés, en défense du statut de fonctionnaire, si dans le même temps il discute du nombre, des conditions de recrutement de contractuels ?
Modifier le rôle des Commissions administratives paritaires
Il faut rappeler que le 2 juin 2008, Woerth a dissocié la question des Commissions administratives paritaires (CAP) du texte de l’accord sur la "rénovation du dialogue social" afin d’obtenir la signature des fédérations. Les directions syndicales avaient demandé le retrait pur et simple de la partie du texte sur les CAP. Mais Woerth indiquait qu’il n’entendait pas "renoncer à sa position sur les CAP".
La modification du rôle des CAP est renvoyée à un décret. Gageons que le décret à venir s’appuiera sur ce qu’a annoncé par Woerth : les mutations seront, à terme, écartées des CAP (c’est ce qu’a cherché à faire le ministère lors de la procédure des mutations 2009 dans l’Enseignement public). Et la multiplication des postes à profil vide de leur contenu le rôle des CAP : faire respecter les mutations selon un barème ; éviter les "passe-droits". D’ores et déjà, le ministère annonce une "concertation" sur le projet de décret instaurant les nouvelles CAP.
Validité des accords
Seules les organisations syndicales présentes dans l’instance de concertation participeront aux négociations (un syndicat, une fédération non présent au Comité technique ne sera plus invité aux négociations). Durant la période transitoire (jusqu’à fin 2013), un accord sera valide s’il est signé par deux organisations syndicales ayant recueilli conjointement 20% des voix et s’il ne rencontre pas d’opposition d’organisation syndicale partie prenante à la négociation représentant une majorité de voix (art. 22). À terme, au 1er janvier 2014 au plus tard, l’accord majoritaire en voix sera l’unique critère de validité des accords.
Dans une note d’information, la Fédération générale des fonctionnaires FO estime que ces nouvelles règles imposent "un alignement des revendications des salariés sur le « plus petit dénominateur commun » afin d’avoir 50% des voix pour un accord… Seul l’employeur sera gagnant".
"La rénovation du dialogue social" : vers la fin des garanties statutaires
Le statut des fonctionnaires a été arraché dans le cadre de la mobilisation révolutionnaire issue de la fin de la Deuxième guerre mondiale (ordonnance du 9 octobre 1945, puis loi du 19 octobre 1946). En établissant la garantie de l’emploi pour tous les fonctionnaires et un certain niveau de salaire, il limite la concurrence entre les agents. Ce faisant, il unifie l’ensemble des fonctionnaires face à l’employeur, l’État. Il contraint l’État à reconnaître les agents non comme une addition d’individus isolés, mais comme une masse affirmant la solidarité collective de ses intérêts. C’est dans ce cadre général que s’inscrivaient globalement les relations entre les fédérations de fonctionnaires et le gouvernement.
Ce sont de nouveaux rapports que veut instaurer le projet de loi sur "la rénovation du dialogue social". Le fil conducteur des "négociations" et des "accords" sera la "modernisation de la gestion des ressources humaines" : les restructurations imposées par les suppressions massives de postes impliquent de déroger aux garanties statutaires. Il s’agit d’organiser l’atomisation des personnels en instaurant des règles propres à une unité territoriale, au service…
C’est en obtenant des appareils syndicaux qu’ils s’inscrivent dans ce cadre de dislocation, qu’ils signent des "accords collectifs novateurs" que le gouvernement peut espérer surmonter la résistance des fonctionnaires à la casse des acquis statutaires inscrite dans la "loi de mobilité". De plus, la consultation de type référendaire est un moyen de briser la résistance des personnels. Au lieu de les rassembler dans un cadre organisé, elle les atomise (il suffit de rappeler que dans nombre d’entreprises face à la menace de délocalisation de la production, les salariés ont voté la suppression de primes, des baisses de salaires…).
Le gouvernement associe les dirigeants syndicaux à la discussion des décrets d’application afin que la loi soit rapidement applicable. Parallèlement, le "dialogue social" sur la mise en place de la "mastérisation", sur la "réforme des lycées"… lui permet d’avancer dans la mise en cause des garanties statutaires. Si la direction du SNES semble dénoncer le plan de "revalorisation" de Chatel, elle accepte les discussions sur la réforme des lycées, laquelle implique l’annualisation des services…
"Le dialogue social sera le cœur de notre méthode pour rénover la Fonction publique", c’est le leitmotiv de Woerth. Des "négociations" et des accords contre le statut : voilà ce que ce projet de loi issu de l’accord du 2 juin 2008 met à l’ordre du jour.
"La rénovation du dialogue social" : un outil contre le mouvement ouvrier
Le "syndicalisme rassemblé" prôné par l’appareil de la CGT, c’est le rapprochement avec la CFDT et l’abandon des revendications ouvrières. Dans les "repères revendicatifs" adopté par la CGT depuis 2007, on constate que le "droit à la retraite" exclut le retour aux 37,5 annuités, que l’annualisation du temps de travail est validée, etc… "Comment définir clairement la justification économique et sociale de l’annualisation du temps de travail ?". Cette interrogation montre que ces "repères revendicatifs" ne partent pas de la défense des intérêts spécifiques des salariés (de leurs intérêts de classe) ; ils se situent dans le cadre général des besoins du capitalisme français. Le "syndicalisme rassemblé", c’est la négation du front unique (c’est à dire de l’unité des organisations du mouvement ouvrier contre le patronat et contre le gouvernement).
La "rénovation de la démocratie sociale" a été portée par l’appareil de la CGT aux côté de la CFDT. La modification des règles de représentativités va favoriser, propulser les organisations gagnantes sur le plan électoral. Pour certains syndicats, cela impose des rapprochements organisationnels sous peine de disparaître. Et surtout, le "dialogue social" devient le seul horizon du syndicalisme. La "recomposition syndicale" initiée par les directions de la CGT et de la FSU va dans ce sens. Cette politique accroît la soumission des syndicats l’État ; elle est un facteur de dislocation des syndicats du mouvement ouvrier. On comprend ce que Sarkozy appelle "un changement de culture".
Mobilité et dialogue social dans la Fonction Publique :
Deux faces d’un même combat à mener
Le combat contre toute application de la loi de "mobilité", pour son abrogation n’est pas dissociable du combat contre le "projet de loi relatif à la modernisation du dialogue social dans la Fonction publique", pour son retrait. Assez de "dialogue social" !
Exiger de la direction de la FSU (et des autres fédérations de fonctionnaires) qu’elle défende cette orientation, qu’elle exige le retrait de ce projet de loi, qu’elle rompe immédiatement les négociations sur les projets de décrets d’application de ces deux loi est une première urgence.
Il faut s’organiser pour le leur imposer.
Hélène Bertrand
22 octobre 2009
(2) L’Humanité 25 août 2009.