Offensives contre l’hospitalisation publique, la sécurité sociale, le droit du travail : Les femmes, premières victimes

Les femmes sont les premières victimes de l’offensive visant la sécurité sociale, l’hôpital public et le droit du travail. Le projet de loi “relatif à la santé” présenté par Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, s’inscrit dans la continuité des lois antérieures. Il s’articule à nombre de mesures touchant aux droits et à la santé des femmes.

Article paru dans la revue L’Émancipation syndicale et pédagogique en février 2015

Ce projet se dresse contre la nécessité d’abroger la loi “hôpital, patients, santé et territoires” (loi Bachelot de 2009). L’axe directeur du projet est la “refondation” de tout le système de santé (hôpitaux publics et sécurité sociale…) en un “service territorial de santé au public”, lequel induit un transfert d’activités du service public vers le secteur privé et la médecine libérale. Tout cela en corrélation avec le pacte de responsabilité qui programme 10 milliards d’euros de restrictions de crédits sur la santé.

Cette loi annonce une politique nationale englobant prévention, organisation des soins, accès aux soins, participation des usagers ; elle veut mettre fin au “cloisonnement” des acteurs du système de santé.

Travail de nuit…

Le texte insiste sur les inégalités en matière de santé et sur les “déterminants de santé”. Ce jargon recouvre les conditions de vie, l’environnement, l’alimentation, les conditions de travail qui agissent sur la santé...

Nombre d’exemples peuvent être pris. L’un d’eux illustre bien le rapport entre la santé des femmes et les conditions de travail.

En France, le travail de nuit des femmes était généralement interdit depuis 1892. Des “assouplissements” ont été progressivement apportés. Et c’est dans le cadre de la loi du 9 mai 2001 relative à “l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes” (loi Génisson) qu’est supprimée totalement l’interdiction du travail de nuit pour les femmes dans l’industrie. [1] Cette loi a élargit le travail de nuit à des secteurs entiers (hôtellerie et restauration par exemple) et a aggravé la situation dans lesquels il était encadré dans les hôpitaux publics en particulier.

…et cancer du sein

Dix ans après, un rapport du Conseil économique et social constate que le recours au travail de nuit tend à progresser. Pour les femmes salariées, il a plus que doublé et il se cumule avec la progression des horaires atypiques (salariés mobilisables à tout moment). Les effets néfastes sur la santé de l’ensemble des salariés sont répertoriés ; à cela s’ajoutent “des risques spécifiques” pour les femmes : certains sont liés à la grossesse (retard de croissance intra-utérine, prématurité, risque de fausses couches…).

Les déclarations faites par les syndicats vont dans le même sens. Pour FO, “Environ trois millions de salariés, dont 800 000 femmes, sont donc touchés par le travail de nuit. Le constat est fait que ce type d’activité concerne de plus en plus de salariés et que les femmes, en particulier, voient l’impact du travail de nuit augmenter. C’est le cas dans l’industrie, ce qui résulte bien entendu de la loi Génisson de 2001 qui a levé l’interdiction du travail de nuit pour les femmes dans cette branche”.

Et la CGT de renchérir : c’est auprès des femmes “que les effets les plus néfastes de ce type d’horaires se font sentir. Déjà victimes de rémunérations inférieures et de déroulements de carrière ralentis, elles sont, pour celles qui travaillent de nuit, touchées en plus par des pathologies particulières notamment celle du cancer du sein”. [2]

S’agissant du cancer du sein, une étude française publiée en mai 2012, vient confirmer les études de l’agence cancer de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et le Centre International Contre le Cancer (CIRC).

Il apparaît que le travail de nuit entraîne une perturbation du rythme circadien qui gère l’alternance entre l’état d’éveil et de sommeil, et régule le rythme biologique du corps. Chez les femmes, ce dérèglement entraîne alors un déséquilibre du cycle hormonal. Les activités nocturnes affaibliraient les cellules des glandes mammaires et développeraient ainsi des cellules cancérigènes. L’étude observe une augmentation de 30 % du développement de la maladie chez les femmes travaillant la nuit.

On a là, une fois encore, une claire illustration du contenu réel de ces lois qui prônent l’égalité hommes/femmes : elles sont en fait un moyen de liquider les acquis du droit du travail !

Agir sur les conditions de vie et de travail ?

Le projet de “loi de santé publique” proposerait-il donc des mesures pour améliorer les conditions de travail parties intégrantes de ces “déterminants de santé” dont il évoque l’importance ?

Que neni. Il n’est pas question de revenir sur la loi de 2001 levant l’interdiction du travail de nuit des femmes. Pire encore, complétant les mesures de casse de la médecine du travail, le projet de loi Touraine veut modifier le code du travail en légalisant l’appel à des “médecins non spécialistes en médecine du travail” pour exercer des “fonctions dévolues aux médecins du travail".

Le projet prétend aussi “mettre en œuvre les mesures de prévention” pour améliorer la santé des jeunes. L’école serait chargée de mettre en place un réel “parcours éducatif en santé” afin d’apprendre “à tous les enfants et adolescents « à prendre soin » de soi et des autres et d’éviter les conduites à risque”. S’agirait-il, par exemple, d’instaurer dans l’Enseignement public un réseau dense de médecins scolaires travaillant en collaboration étroite avec un nombre suffisant d’infirmières, de psychologues scolaires, d’assistantes sociales, etc. permettant une approche de la prévention chez les jeunes qui intègre les aspects médicaux, sociaux, psychologiques ? Pas du tout : dans ce projet de loi, les médecins scolaires ne sont même pas cités.

Or, une étude sur la santé des femmes montre, par exemple, que le manque d’informations ou de connaissances chez les très jeunes femmes est un important facteur d’échec de la contraception conduisant, chez les 15-19 ans, à une forte augmentation du recours à l’IVG par rapport aux années quatre-vingt-dix.

On peut s’interroger en outre sur le projet de faire appel aux Agences régionales de santé (ARS) pour collaborer à “ces mesures de prévention” lorsqu’on sait que les ARS, qui ont pour but de “rationaliser l’offre de soins”, ont à leur actif la fermeture de nombreux lits et services hospitaliers. C’est la disparition totale de la “médecine scolaire” qui est ainsi programmée. Et il y a tout lieu de croire que ce “parcours de santé” ne soit qu’un vernis à forte connotation morale, ce d’autant plus que la dimension répressive du dispositif est donnée par le renforcement de mesures punitives concernant la consommation d’alcool chez les jeunes.

Quant aux mesures annoncées sur les conditions sociales et environnementales agissant sur la santé, elles ne mettent surtout pas en cause les intérêts des entreprises privées. Bien au contraire, toute la politique du gouvernement vise à leur défense. Et les seules “avancées” sont, en réalité, celles qui ouvrent aux entreprises des débouchés lucratifs.

Réorganiser les soins dans un but d’économies

Dans la bouche de Touraine, le terme de “refondation” du système de santé n’est pas un vain mot.

Son projet de loi crée deux nouveaux outils. Le “Service territorial de santé au public” (STSP) et le “Groupement hospitalier de territoire” (GHT). Cela dans le but d’imposer des fusions d’établissements et des réductions d’emplois.

D’ici 2017, plus de 50 milliards de coupes budgétaires sont prévus dans les dépenses publiques, dont 18 milliards d’économies sur la protection sociale et les dépenses de santé (dont les hôpitaux). Considérant que “le service public hospitalier peut également être assuré par les établissements de santé privés”, l’objectif est de réduire la place de l’hôpital public en confiant au secteur privé (cliniques, praticiens libéraux, etc.) des pans entiers d’activités réalisées par l’hôpital public.

Les femmes seront particulièrement touchées par tous ces dispositifs.

Économiser sur la santé des femmes

Divers rapports vont dans ce sens.

La Cour des comptes constate que “La maternité bénéficie en France, depuis la mise en place de la sécurité sociale, d’un régime de protection particulier” [3]. Les prestations en nature (ensemble des frais médicaux, pharmaceutiques, d’analyses et d’examens de laboratoires, d’appareils et d’hospitalisation directement liés à la grossesse, à l’accouchement et à ses suites) se sont élargies : prise en charge de l’accouchement sans douleur, de quatre consultations obligatoires, du dépistage de la toxoplasmose, de la rubéole et de l’immunisation fœto-maternelle, de l’examen médical du futur père si l’examen de la mère ou les antécédents familiaux le rendent nécessaire… La couverture des futures mères est bien meilleure en France que dans le reste de l’Europe estime la Cour des comptes : prise en charge à 100 % des soins liés ou non à leur état, quelle qu’en soit la cause, du sixième mois de leur grossesse au douzième jour qui suit l’accouchement et un taux de remplacement du salaire moyen plus élevé que pour l’assurance maladie. “L’effort financier global inter-régimes dépasse ainsi 1,5 Md€, soit 22 % de l’ensemble de la dépense prise en compte par l’assurance maternité”.

La Cour regrette que la dépense d’assurance maternité ait progressé beaucoup plus que la natalité. Et elle trace des pistes d’économies à réaliser, lesquelles s’articulent avec la loi Touraine.

—> Intégrer dans l’ONDAM la totalité des dépenses de maternité

Depuis le plan Juppé (1996), chaque année, le Parlement vote l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM), c’est à dire le montant des remboursements que l’assurance maladie ne doit pas dépasser. La Cour des comptes propose de soumettre à l’ONDAM non seulement les prestations en nature de l’assurance maternité mais aussi les indemnités journalières (42% des prestations versées au titre de la maternité). La progression des indemnités journalières de maternité devrait ainsi être compensée par des économies dans d’autres secteurs pour respecter l’enveloppe globale de l’ONDAM. Et la Cour de s’interroger sur “la pertinence” du congé pathologique dont bénéficient 60% des femmes. Or, ce congé tend à compenser l’insuffisance du congé maternité afin de limiter les atteintes à la santé de la future mère et du fœtus dues à la pression du travail. Au final, la Cour envisage une fusion de l’assurance maternité dans l’assurance maladie… Que restera-t-il alors de la couverture à 100% ?

—> “Accélérer la diminution de la durée moyenne de séjour”

Dans les établissements de santé, la tarification à l’activité – ou T2A, inspirée du modèle américain, a été mise en place en 2004. En France, pour un même type d’hospitalisation, tous les hôpitaux publics perçoivent le même forfait. “Plus le séjour est court, plus les frais avancés sont réduits, plus l’établissement est gagnant”, explique Clément Nestrigue, chercheur à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES).

Un rapport de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), publié en juin 2014 propose de cibler des économies par pathologies. Le rapport propose de porter à 50% en 2020 le taux de chirurgie du cancer du sein réalisées sans hébergement à l’hôpital (en 2012, seules 15 % des chirurgies du cancer du sein ont été faites en ambulatoire). S’il souhaite une augmentation du taux de participation au dépistage, pas un mot n’est dit sur les mesures de prévention concernant notamment l’amélioration réelle des conditions de vie et de travail.

—> Écourter la durée moyenne de séjour en maternité

Réduire de 4,2 à 3 jours en moyenne, la durée du séjour en maternité pour un accouchement par voie basse permettrait de générer 280 millions d’économies. Dans ce but, le rapport propose la généralisation du programme d’accompagnement du retour à domicile (Prado). Le suivi post-natal est alors réalisé par une sage-femme libérale.

Par ailleurs, la mise en œuvre de la loi sur “l’expérimentation de maisons de naissances” [4] commence à se mettre en place : en septembre 2014, la Haute autorité de santé a publié le cahier des charges des “maisons de naissance” expérimentales ; les décrets d’application vont suivre. La femme qui accouche en “maison de naissance” rentre chez elle moins de 24 heures après la naissance.

Dans le même temps, des groupes de pression s’activent pour faire prendre en charge par l’État l’assurance que doivent payer les sages-femmes libérales afin de réaliser des accouchements à domicile [5].

On s’achemine ainsi vers une externalisation auprès de structures privées du suivi de la mère et de l’enfant : le suivi de la mère, la mise en place de l’allaitement serait transférée à des sages-femmes en libéral. De même les examens du bébé réalisés par un pédiatre dans le cadre hospitalier (tests de dépistage néo-natal, de surdité…) seraient aussi réalisés en libéral…

Ce dispositif illustre particulièrement ce qui se cache derrière la transformation du système de santé publique organisé autour des hôpitaux publics, financé par l’État, avec un personnel sous statut de fonctionnaire en un “Service territorial de santé au public”.

Marche à la privatisation

Faute de moyens suffisants – en particulier en personnel médical - la mise aux normes des maternités a conduit à la concentration des naissances dans des "usines à bébé", souvent éloignées du domicile des parents. Le manque de moyens et la tarification à l’acte ont imposé la réduction de la durée des séjours.

Et en janvier 2015, la Cour des comptes vient de publier un nouveau rapport. Elle recommande de fermer 15 nouvelles maternités, d’en mettre 300 “sous surveillance” et de réduire “les coûts par la baisse de la durée moyenne de séjour, l’augmentation des taux d’occupation et la suppression des lits inutiles”, de “renforcer l’efficacité des réseaux de périnatalité” [6] .

Quels sont les arguments avancés ? Ces maternités auraient des difficultés de recrutement de médecins ce qui mettrait “en cause la sécurité” ; leur taux moyen d’occupation ne serait que de 70 % ; la durée moyenne de séjour serait “significativement plus élevée que chez nos principaux voisins”. Conclusion : tout cela manque “d’efficience”, autrement dit de compétitivité !

En janvier 2015, un tract de la fédération CGT de la santé dénie à la Cour des Comptes le droit “d’intervenir, avec le faux-nez de la sécurité, dans un domaine où ses compétences sont limitées, alors qu’en fait sa logique est strictement financière”. En effet, poursuit la CGT, “Depuis 40 ans en France, deux tiers des maternités ont été fermées et une réorganisation de l’offre de soins (avec une gradation des maternités pour répondre aux impératifs de sécurité) s’est mise en place”.

Le massacre a continué dans les années 2000 avec une diminution supplémentaire de 20 % des services restants. Cet argument n’a pas fait la preuve de son bien-fondé, puisque la France se situe au 17e rang des pays de l’OCDE quant au risque de mortalité néonatale”.

Et le syndicat de rappeler que la pénurie de médecins invoquée par la Cour pour justifier la fermeture de maternités “a été organisée depuis les années 1980 dans le cadre du numerus clausus sous l’autorité des « experts » de l’époque, qui expliquaient que pour diminuer les dépenses de santé, il fallait diminuer le nombre de médecins en exercice”. Aujourd’hui, 20% des médecins exerçant en France sont formés à l’étranger.

Le terme de “massacre” est-il exagéré ? La CGT évoque aussi l’augmentation du taux de mortalité néonatale. Certes, les causes sont multiples et les différences de critères utilisées selon les pays pour établir les statistiques rendent difficiles les comparaisons. Cela dit, les contre-réformes antérieures pèsent lourdement dans ces dégradations. Et aujourd’hui, le gouvernement voudrait franchir une nouvelle étape en “expérimentant” des maisons de naissances pour les grossesses “normales”, à “bas risque” [7]. “Mais quelle est la différence entre ces structures et une maternité de proximité”, interroge la CGT ? “D’un côté, nous avons un hôpital public et de l’autre, nous avons une structure libérale avec des sages-femmes sans garantie d’une prise en charge des frais à 100 %”.

Quels combats ?

Bien d’autres mesures néfastes figurent dans le projet Touraine et la nécessité de se mobiliser contre ce projet de loi est évidente. Un tel combat ne peut être mené par la bande, en cherchant des solutions de substitution, individuelles ou locales (ou par le recours à des thérapies échappant prétendument à l’emprise capitaliste). Il ne peut être que frontal et global. Cela nécessite d’impliquer l’ensemble des organisations syndicales pour imposer, en premier lieu, le retrait du projet de loi Touraine, l’abrogation de la loi Bachelot, de la tarification à l’acte… Ce qui passe bien évidemment par le combat contre le dialogue social.

Cela nécessite aussi de mener un combat sans concession contre les lobbies religieux, idéologiques et économiques qui prétendent régler les problèmes de santé par des “solutions” qui, tout en faisant référence à la “liberté de choix des femmes” (collectif Ciane et autres groupes), agissent en fait au profit du développement du secteur libéral et de structures privées. En matière de santé, les lobbies sont multiformes. Si les pressions des industries pharmaceutiques sur le système de santé sont bien connues, on parle beaucoup moins, par exemple, des actions de noyautage des associations de patients et “d’usagers”. Présentant son projet comme une réponse à la “mobilisation des acteurs du monde de la santé”, c’est en réalité à ces groupes de pression que le gouvernement fait référence.

Hélène Bertrand, 18 février 2015

Notes

[1L’Assemblée a alors rejeté un amendement interdisant, sauf dérogations, le travail de nuit des femmes et des hommes.

[3Sécurité sociale, Cour des comptes, septembre 2014

[4Voir l’article Maisons de naissances, maisons de douleur, L’émancipation n°9, mai 2014.

[5Cf. le Collectif inter-associatif autour de la naissance, Ciane

[6Réseau de périnatalité : association regroupant les maternités privées et publiques, les professionnels de la périnatalité de la région exerçant en établissement public ou privé, en libéral, ainsi que des associations “d’usagers du système de santé” : associations (employeurs) d’aides à domicile, de promotion de l’allaitement maternel, de l’accouchement à domicile, etc.

[7Une récente étude néerlandaise met en relation le fait que ce pays présente le plus fort taux de périmortalité d’Europe et la structure du système obstétrical : classification initiale des femmes enceintes en bas et haut risque ; accouchement à domicile ou en milieu hospitalier non médicalisé pour les grossesses “normales”. L’étude ne met pas en cause la compétence des sages-femmes mais l’organisation des soins.