“Égalité femmes/hommes” ou régression programmée ?

Le 8 mars 2013, alors qu’à l’Élysée, Hollande accueillait des femmes créatrices d’entreprises, un “Protocole d’accord relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique” était signé à l’unanimité des fédérations de fonctionnaires. Cet accord “historique” est un bel exemple de dévoiement de la journée internationale consacrée à la lutte des femmes.

=> article publié dans la revue L’émancipation syndicale et pédagogique 2 avril 2013

Les fédérations signataires s’accordent sur le fait que le texte “manque d’ambition” (CGT), que ce “protocole n’aura pas d’effet immédiat” (FSU) qu’aucune “obligation de résultat” n’y est inscrite (Solidaires)… Ce texte ne satisfait aucune revendication. Il est, selon la ministre Lebranchu “un point de départ” qui va “permettre d’engager à tous les niveaux un changement profond de notre fonction publique”.

Pour le patronat, comme pour le gouvernement, le statut de la Fonction publique est trop rigide. Cet accord unanime va permettre, dit Lebranchu, de développer un “dialogue social constructif”.

Mais il n’est pas question de revenir sur le gel des salaires, ni de diminuer le temps de travail (35, voire 32 heures sans flexibilité, sans diminution de salaire), ni d’augmenter la durée du congé de maternité, ni d’en finir avec la politique de restructuration/destruction de la Fonction publique…

Outils de la GRH

Dans un document du ministère appelé “Outils de la GRH”(1) on note qu’en France, les femmes conjuguent un fort taux d’activité – 83% - et le taux de fécondité le plus élevé de l’Union Européenne tout en assurant les taches familiales.

Les causes des inégalités dont sont victimes les femmes sont connues depuis longtemps. De même que leurs revendications : revalorisation des carrières dites “féminines” (cf les ATSEM), allongement du congé de maternité, ouverture massive de crèches collectives publiques gratuites (ou a bas prix), scolarisation des deux ans, création de structure publiques permettant aux personnes en perte d’autonomie de bénéficier des soins et de l’encadrement auxquels elles ont droit, attribution de logements sociaux proches du lieu de travail... De tout cela il n’est pas été question. Dans l’accord signé le 8 mars, on retrouve les “bonnes pratiques de GRH” : entretien de carrière, modification du congé parental, organisation plus flexible du travail…

Protocole égalité femmes-hommes 2013

Rémunération et parcours professionnels

Les femmes sont les premières pénalisées par le gel des salaires et par le développement des primes et indemnités diverses au détriment du traitement de base. Mais pas question d’augmenter les traitements des fonctionnaires.

Les signataires s’engagent à veiller à “l’égalité des parcours professionnels”. Mais pas un mot contre l’évaluation des compétences professionnelles aux concours de recrutement (remplaçant les épreuves disciplinaires), ni sur l’extension des postes à profil, des entretiens d’évaluation, voire d’embauche…

Ils s’engagent à élaborer des fiches métiers et un RIME “non orienté” (homme ou femme) : or, les fiches métiers et le RIME sont des outils pour disloquer les garantie statutaires. Ils veilleront à ce que les employeurs ne pénalisent pas les femmes en congé de maternité lors de l’évaluation ou de l’attribution de primes. Les syndicats valident ainsi l’avancement selon la performance (évaluation) qui met en cause la règle de l’ancienneté et les primes. Et bien sûr, rien n’est fait pour rétablir les bonifications pour enfants dont bénéficiaient les femmes lors de leur départ en retraite et supprimées par la loi Fillon de 2010.

Congé parental et/ou congé de maternité

Le congé de maternité qui protège la femme et l’enfant est un des acquis les plus importants pour les femmes travailleuses. Le gouvernement refuse d’en allonger la durée. On parle “d’accueil” de l’enfant et non de congé lié à la maternité. Dans l’accord du 8 mars les fédérations syndicales se rallient à la demande des employeurs d’un “meilleur partage du congé parental entre homme et femme”. Les employeurs veulent en limiter la durée à un an sous prétexte qu’il “éloigne la femme de l’entreprise”. Or, dans un couple, celui qui prend le congé parental, c’est souvent la femme, car c’est elle qui gagne le moins et le coût de la garde de leur enfant est égal ou supérieur à leur salaire. Mais il n’est pas question d’augmenter les salaires, ni d’ouvrir des crèches collectives publiques. Alors, pour quelques congés parentaux supplémentaires pris par les hommes, une masse de familles se verront supprimer cette possibilité : c’est une nouvelle façon de s’en prendre aux femmes salariées les moins rémunérées.

De plus, l’accord stipule qu’un “entretien professionnel” sera proposé à chaque agent avant son départ et avant sa reprise de fonction ; il lui sera aussi proposé des actions de formation. L’agent qui a pris un congé d’un an serait-il déqualifié ? Va-ton lui demander d’acquérir de nouvelles compétences définies par le DRH ? Et il n’y aura plus qu’un pas à franchir pour imposer cet entretien professionnel – et des pressions qui l’accompagnent - à la femme en congé de maternité.

Articulation vie professionnelle/vie personnelle

“L’aménagement et l’optimisation des modalités de travail des salariés pour une meilleure répartition des temps de vie” est un des outils de DRH que l’on retrouve dans cet accord sous la forme de “chartes de temps”. Que cache cette novlangue de “meilleure répartition des temps de vie” ?

La diminution du temps de travail sans diminution de salaire, ni flexibilité, telle est la revendication des travailleurs (femmes et hommes). Rappelons que la diminution de la journée de travail est une lutte séculaire entre le capital et le travail : elle “est la condition préalable sans laquelle tous les efforts en vue de l’émancipation doivent échouer”(2). Mais la limitation de la journée de travail ne peut être imposée à l’échelle individuelle ou locale. Elle nécessite une loi qui s’impose à tous (employeurs et aussi salariés) ; si non, c’est l’employeur qui impose sa règle afin d’utiliser le plus longtemps possible la force de travail du salarié.

Or, sous couvert d’adaptation aux besoins locaux, les chartes de temps ouvrent la voie à une nouvelle dérèglementation, à de nouveaux empiètements de l’employeur sur le temps libre du salarié. Dans le cadre d’une définition nationale et stricte du temps de travail, les salariés combattaient collectivement pour faire prendre en compte les contraintes liées aux transports, aux conditions de logement, aux enfants… Les chartes du temps introduisent la flexibilité et l’individualisation du temps de travail : cela contraint le salarié à une adaptation permanente qui induit, dans les faits, une augmentation du temps de travail effectif. On voit les dégâts produits par la flexibilité du temps de travail à la Poste, dans les banques, les entreprises… où les salariés sont soumis à une pression permanente.

Un nouvel outil contre le statut

Dans la feuille de route du gouvernement issue de la Grande conférence sociale de juillet 2012 à laquelle toutes les directions syndicales ont participé, on peut lire : “L’égalité professionnelle et l’amélioration de la qualité de vie au travail” sont des “facteurs de compétitivité et de performance pour les entreprises” (sic). C’est pourquoi, cette question doit être intégrée “de façon transversale dans toute les négociations interprofessionnelles”.

Ces quelques exemples suffisent à caractériser cet accord “historique” qui se situe dans la continuité des concertations menées sous Sarkozy-Sauvadet (3). C’est une importante offensive contre les garanties statuaires, contre le statut qui garantit l’égalité de traitement des agents et contre les droits des femmes qui est ainsi programmée. Tout cela, au nom de “l’égalité professionnelle ente les femmes et les hommes”.

Au-delà du protocole

Ce processus s’intègre parfaitement à ce que certains appellent “la mondialisation libérale”. Les femmes, dit Jules Falquet (4), “sont les plus affectées” par la privatisation des entreprises et des services publics, par le démantèlement des acquis sociaux et leurs nombreuses conséquences sur le marché du travail. “Entre autre parce qu’elles se voient à nouveau obligées de réaliser les taches de reproduction sociale (travail ménager dans le cadre de la famille, des collectivités ou des entreprises, élevage des enfants, soins aux personnes âgées, aux malades et aux hommes adultes valides) dont l’État se décharge”.

C’est avant tout pour des raisons de compétitivité que le gouvernement comme le patronat veulent que l’on favorise l’accès des femmes aux postes de direction. Cette politique a un corollaire. Faisant référence à Saskia Sassen qui a travaillé sur les villes mondiales, la globalisation et les migrations internationales, J. Falquet écrit : “les emplois hautement qualifiés de la mondialisation ont besoin de « petites mains » invisibles et si possible bon marché pour entretenir leur force de travail, leur fournir la nourriture chaude et le vêtements propres nécessaires, garder et élever les enfants et sortir le chien (…). La mondialisation gagnante faite d’hyper-mobilité et de super productivité au profit de l’entreprise, crée nécessairement des sous-circuits de mobilité où une main d’œuvre majoritairement féminine et peu qualifiée” est attirée vers les métropoles pour y assurer l’intendance.

Ce sont les femmes du Sud (migrantes de l’intérieur ou internationales) qui assurent le travail domestique chez autrui. On remplace ainsi les services sociaux publics (desquels l’État se désengage), par le “care” (travail précaire, dévalorisé, flexible qui incombe aux femmes). En France aussi, se développent les emplois “d’aide à la personne” (associations, chèque emploi service…) alors que les structures publiques du domaine social et de soins se délabrent et que l’externalisation/privatisation de services transforme des emplois sous statut de fonctionnaire en emplois précaires (cantines scolaires, etc).

Bref, qui peut croire que l’on puisse assurer la défense les droits des femmes en se situant dans le cadre d’une politique de liquidation des acquis sociaux ? En cautionnant cette politique par le “dialogue social” ? Plus que jamais le combat en défense des revendications des femmes, des travailleuses, de leurs droits est une nécessité. Il faut, pour cela, lier “théorie et pratique”.

“Reprendre l’initiative”, implique de démonter les “discours manipulateurs sur le genre”, c’est à dire les discours initiés par les gouvernements et les institutions internationales qui cherchent à “récupérer les femmes en les associant à leur projet de “bonne gouvernance” (J. Falquet).

Assez de dialogue social ! Pour que les femmes ne soient plus instrumentalisées, ici et encore, par ceux et celles qui prétendent lutter en leur faveur, oui, il est temps se mobiliser pour les revendications et de reprendre l’initiative.

Hélène Bertrand

(1)“Pour une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie familiale Identification des bonnes pratiques des secteurs public et privé en France et à l’étranger”

(2) congrès de l’Association internationale des travailleurs 1866

(3) Voir les articles parus dans la revue : En défende des droits des femmes (n°8, avril 2012) ; Une violente offensive contre le congé de maternité (n°1, septembre 2011)

(4) Jules Falquet De gré ou de force. Les femmes dans la mondialisation (La Dispute)