Solidarité concrète autour de l’exposition des œuvres de Katya Gritseva
Ukraine
Compte-rendu, de la soirée sur l’exposition des œuvres de Katya Gristeva
Salle bondée, visiteurs observant avec attention les travaux artistiques exposés, public attentif aux interventions orales, en particulier celles de l’artiste, musique et chants, discussions multiples débordant sur le trottoir…
Ce fut au final une soirée militante et chaleureuse en défense de l’Ukraine qui, le samedi 26 novembre, fut consacrée – dans le café fédératif des Clameurs à Lyon – à une jeune artiste et graphiste ukrainienne Katya Gritseva.
Les œuvres
Incontestablement, elles sont d’une grande fraîcheur et d’une grande qualité artistique, s’appuyant sur l’héritage de ce que fut le futurisme et le Bauhaus, mais en renouvelant, de manière très personnelle ces courants majeurs de l’art du XXe siècle.
Toutes les œuvres exposées partent d’un thème politique avec lequel les moyens artistiques utilisés sont indissociables.
Exemples : le remarquable autoportrait avec Maïakovski, tout en noir et blanc et aux traits de gravure, ou bien les différentes œuvres consacrées au livre Être
radical composées uniquement de rouge, de noir et de blanc dont l’une met en scène trois personnages (un activiste, une représentation de l’amour et un ouvrier) face à trois tueurs armés de fusils, à tête de loups, défenseurs manifestes du capital, ou encore des œuvres à dominante de jaune représentant des femmes dans différentes postures (poing levé, ou bien mitraillette en bandoulière…) consacrées à la solidarité féministe internationale.
D’autres œuvres sont plus immédiatement évocatrices de l’actuelle situation de l’Ukraine, l’une représentant trois immenses tournesols (emblème de l’Ukraine) se dressant sur un champ de ruines que des hommes casqués entreprennent de déblayer.
Ou bien, le thème de l’ambulance : deux ambulanciers emportant un blessé, tandis qu’une ambulancière est assise au premier plan, accablée, le tout dans une dominante d’orange et de violet sur fond noir.
En contrepoint, ce tableau évoquant la souffrance actuelle du peuple ukrainien, une note d’espoir : une œuvre titrée “Après la guerre”, dans une dominante de bleu léger et jaune (les couleurs emblématiques de l’Ukraine) évoquant des ouvriers en train de reconstruire, un infirmier, bras ouverts, une enseignante.
- “Je me bats pour ma liberté, celle de tous les Ukrainiens”
La soirée fut marquée par différentes prises de paroles, la plus importante étant celle de la jeune artiste ukrainienne : Katya Gritseva.
Dans une intervention liminaire, Katya rappelle que la guerre est une réalité depuis 2014. Cette réalité, pour moi, a-t-elle expliqué, c’est avant tout la mort de proches, d’amis. Et c’est pareil pour tous les Ukrainiens. Je suis moi-même réfugiée : ma famille est à Marioupol et je vis actuellement à Lviv. Mon travail est maintenant en lien exclusif avec la guerre. C’est un choix personnel. Je veux aider mon pays l’Ukraine.
Et elle explique être contre les nationalismes ukrainiens ou russes : je me bats pour ma liberté, celle de tous les Ukrainiens, le droit d’appartenir au pays que nous voulons, l’Ukraine. Je me bats contre la barbarie de l’impérialisme russe.
En même temps, elle constate que le gouvernement profite de l’état de guerre pour faire passer des lois contre les travailleurs : ce qui, de fait, constitue une entrave à la défense du pays, et c’est contradictoire avec tout ce qu’il dit. Les Ukrainiens sont démunis car ils doivent concentrer toute leur énergie à la lutte armée contre l’invasion de l’armée russe et ils n’ont pas, ni le temps ni l’énergie, de combattre en même temps, les lois que le gouvernement fait passer contre eux.
C’est ainsi que “nous les étudiants devons-nous organiser contre la fermeture programmée des universités : il s’agit d’un plan de restructuration qui prévoit de réduire le nombre des grandes universités d’Ukraine (de 150 à 80) ”. Aujourd’hui, le ministère de l’Éducation et des Sciences de l’Ukraine veut fermer l’Académie ukrainienne d’imprimerie à Lviv. En décembre dernier, des étudiants et enseignants s’étaient mobilisés contre la fermeture de l’Université nationale de construction et d’architecture de Kharkiv.
Ma première activité syndicale ? M’insurger et aider à l’organisation des étudiants, d’où qu’ils viennent, pour conserver leur droit d’accéder au logement étudiant.
- “Il n’y a qu’une alternative : la liberté ou la mort”
Katya dit ensuite militer au sein de Sotsialnyi Rukh (Mouvement social, Соціальний рухх, CP en ukrainien) depuis un an. Elle ne réalise pas seulement du matériel visuel, elle participe à des actions, elle aide à organiser des groupes de Sotsialnyi Rukh.
Alors que toute la vie politique en général est défaillante en Ukraine, l’existence et l’activité de Sotsilanyi Ruth est d’autant plus importante. Toute la phraséologie du “communisme” est rejetée dans la société. Sotsialnyi Rukh fournit une analyse de gauche de la situation en Ukraine, anticapitaliste et anti-impérialiste. Le mouvement a pour vocation d’aider les Ukrainiens à tous les niveaux, humain, juridique, associatif, politique et syndical.
Oui il est important de ne pas travailler seuls, isolés. Sotsialnyi Rukh aide à la reconstruction du petit syndicat étudiant dont je fais partie, le syndicat Pryama Diya, (Action directe). Sotsialnyi Rukh intervient aussi avec les associations qui, dans notre pays, aident à tous les niveaux les femmes réfugiées et leurs enfants.
C’est normal de retourner en Ukraine, pour lutter avec ses amis, sa famille et son groupe politique : “il n’y a qu’une alternative : la liberté ou la mort”.
Diverses questions furent posées par le public auxquelles Katya a répondu…
Comment vit-on à Lviv aujourd’hui ?
De temps en temps il y a des bombes et l’on souffre aussi de cette maladie qu’est
la guerre. Mais en ce moment Lviv est aussi une ville de solidarité et d’actions, avec beaucoup de rassemblements et d’aide de bénévoles.
Sotsialnyi Rukh apporte une aide juridique aux travailleurs qui ont des problèmes avec leur employeur (défense du salaire, et d’autres droits…).
Actuellement Lviv est une ville surpeuplée, elle accueille énormément de réfugiés, souvent sans logement : les militants de Sotsialnyi Rukh les aident pour l’hébergement, la préparation des repas dans les cuisines. Cette aide est apportée à tous les réfugiés, quelle que soit leur origine : Ukrainiens, Rroms…
Je suis une militante activiste. En ce moment, je participe à la mobilisation des étudiants et personnels de l’Académie ukrainienne de l’imprimerie à l’Université nationale de Lviv que le gouvernement veut fermer.
Bien sûr, nous avons des difficultés, mais pour rien au monde je ne partirai de l’Ukraine.
Comment analyser les déplacements de population d’Ukraine en Russie ?
La propagande russe dit aux Ukrainiens qui vivent à l’est que la situation sera plus sûre sur le territoire russe. De temps en temps certains acceptent d’aller en Russie car ils ont peur pour leur vie.
Beaucoup d’enfants ont été déportés. Beaucoup d’adultes sont aussi déplacés en Russie. C’est une politique “normale” pour les autorités russes qui cherchent à assimiler les Ukrainiens. Cette politique “d’assimilation”, et la suite, se traduit aussi par des déplacements de populations russes sur le territoire ukrainien.
Musique, chants et discussions animées
Ces interventions furent entrecoupées de musique et de chants ukrainiens, accompagnés de musiciens (ukrainien, russe), auxquels succédèrent d’innombrables discussions autour d’un verre.
Sur la mezzanine, était notable l’attention avec laquelle les visiteurs regardaient les œuvres exposées au point qu’il manquait parfois un peu de place. Puis les discussions s’en suivaient. Certains visiteurs et visiteuses étaient particulièrement intéressés par l’œuvre intitulée “Après la guerre” qui évoque la reconstruction du pays. Certains formulaient des questions concernant les outils techniques mis en œuvre pour réaliser les œuvres.
Et sur la terrasse, des échanges autour d’un verre, entre Katya et des jeunes, des femmes de retour de la manifestation féministe de l’après-midi entrecoupés de chants féministes
La soirée fut introduite puis conclue par une présentation du Collectif 69 de soutien au peuple ukrainien [1]ainsi que des associations ukrainiennes (Lyon Ukraine et Ukraine 33) qui exigent notamment le retrait des troupes russes de tout le territoire d’Ukraine.
Et tout cela n’eut rien de compassé, d’affligé dans cette ambiance chaleureuse qui s’est terminée par… L’internationale jouée à la cornemuse.
Au final, un bilan largement positif, jugé comme tel par les participants et participantes qui montrèrent que l’on pouvait se rassembler pour combattre une tragédie, sans pour autant se lamenter : tout combat pour la liberté et l’émancipation sociale est source de vie.
Poursuite d’une discussion
Suite à la soirée de vernissage de l’exposition, le lendemain était organisé un moment d’échange avec des militants et des militantes du Collectif. Et ce fut l’occasion pour Katya de préciser certains aspects de son travail et de son engagement.
J’ai rencontré, dit-elle, des gens politisés et d’autres non politisés. J’ai discuté avec des réfugiés ukrainiens qui sont ici parce qu’ils ont peur. Et mon travail est aussi une aide à la politisation. J’ai été surprise par les chants militants joués à la cornemuse et aussi par les discours politiques des personnes. Je ne suis pas seulement contente pour ma personne mais parce que cette soirée est le produit d’un travail collectif. Je perçois aujourd’hui votre pays d’une autre façon. Et j’espère que cet événement vous aidera dans votre travail.
Puis elle a échangé sur ses relations à l’art et à la politique.
Comment réalises-tu tes œuvres ?
J’ai étudié à l’Académie des arts de Kharkiv où j’ai été formée à différentes techniques de gravure : linogravure, eau-forte, collagraphie.
Avant de rencontrer Sotsialnyi Rukh (CP) j’ai cherché des groupes marxistes, mais je n’en n’ai pas trouvé. Puis, j’ai choisi mes travaux universitaires de telle sorte qu’ils aient un aspect politique. À l’académie, je dois rendre mes travaux artistiques. Et c’est pour moi un jeu de mettre un aspect politique, dans quelque chose qui n’est pas politique. J’ai étudié l’histoire, l’esthétique des avant-gardes du XXe siècle. Mon objectif est de progresser dans ce projet d’art. En général mes professeurs n’entravaient pas cette recherche. Parfois même ils m’encourageaient, et à d’autres moments, cela leur faisait peur.
Je pars souvent sur une idée, puis d’autres idées se rajoutent au fur et à mesure de mon travail, en lien avec ma vie personnelle, un évènement, une découverte sur Internet…
As-tu changé de style après le début de la guerre ?
Depuis le mois de février, j’utilise plus de couleurs ; avant j’avais beaucoup moins confiance en moi quant à l’utilisation de la couleur.
La couleur nécessite un entraînement et cela permet une amélioration de mon travail.
Aujourd’hui j’utilise le numérique : je travaille avec Photoshop.
J’ai l’avantage de travailler avec peu de journaux, Sotsialnyi Rukh, Commons, Direct Action. Ils ont déjà des chartes graphiques, des impératifs que je dois suivre.
Y-a-t-il des réseaux de jeunes artistes en Ukraine ?
Je ne veux pas parler politique, mais je dessine politique
Tous les artistes soutiennent l’Ukraine actuellement, mais très peu se déclarent militants de gauche.
Ceux qui sont ouvertement de gauche sont peu nombreux en Ukraine. Parmi eux, Nikita Kadan, David Chichkan et le groupe Воїни добра і світла а(Guerriers du Bien et de la Lumière).
Fais-tu partie d’un groupe féministe ? Quelles actions mènent les groupes féministes ?
Je ne fais pas partie d’un groupe féministe, mais je suis proche d’elles, Sotsialnyi Rukh (CP) est un groupe très important pour nous ; nous avons des membres de CP qui font partie de groupes féministes, comme la Loge féministe, Bilkis, le Work Shop féministe à Lviv.
Les féministes travaillent en collectif. À Lviv, elles font de l’aide humanitaire, de l’aide juridique. Elles aident les femmes réfugiées à adopter les habitudes de vie de Lviv ; elles les aident à trouver un travail ; elles gardent gratuitement des enfants.
Elles organisent toutes les semaines des réunions, des conférences, des groupes d’aides…
Hier, il y avait une manifestation contre les violences sexistes, contre la publicité sexiste dans les bars qui vendent la marque de liqueur “La Cerise ivre” qui affiche sur les étiquettes de ses bouteilles une femme dénudée.
Aujourd’hui, les féministes sont plus actives qu’avant la guerre.
Et pour conclure :
Notre collectif va faire tourner l’exposition dans d’autres lieux de la métropole de Lyon. Nous avons par ailleurs pris contact avec des milieux artistiques (enseignants et enseignantes en arts plastiques, en histoire des arts, Pratiques artistiques amateurs des Beaux-Arts de Lyon, librairie des arts, voire étudiante en arts appliqués…).
Ces trois jours avec Katya et son amie Sonia ont été pour nous une source d’enrichissement. Dans notre univers social et politique français, marqué par les reculs des acquis sociaux, le courage et la détermination de ces jeunes à combattre à la fois pour leur liberté, contre l’invasion armée de l’impérialisme russe, et en défense des droits du monde du travail est un véritable encouragement à renforcer la dimension internationaliste de nos luttes.
Hélène Bertrand (Émancipation Lyon-69),
15 décembre 2022
Illustrations
1. Autoportrait avec Maïakovski
2. Lutte
3. Extrait d’illustration pour Règles pour les radicaux
de Saul Alinskiys
4. Une partie de l’exposition
5. Katya Gristseva (Les Clameurs)
Article paru dans le n° 14 des Brigades de solidarité Soutien à la résistance ukrainienne page 119
et dans le n° 5 de janvier 2023 l’Émancipation syndicale et pédagogique