Macron-Blanquer : "en marche" vers la privatisation Des projets à combattre : ni négociables, ni amendables

Le programme de Macron sur l’école, l’enseignement supérieur et la recherche, l’apprentissage et l’alternance est largement confirmé par la nomination, comme ministre de l’Éducation nationale, de Jean-Michel Blanquer. Et on doit constater que nombre de propositions du programme Macron sont un copier-coller du dernier ouvrage de J.M. Blanquer, lequel fut directeur adjoint au cabinet de G. de Robien, puis directeur de la DEGESCO sous Darcos et Chatel [1]. Les principaux projets de Blanquer répondent aux objectifs recherchés par Macron.

Pour mettre en œuvre sa politique, Macron entend utiliser pleinement les outils que lui donnent la Ve République et la couleur de son gouvernement en dit long sur les objectifs de ce président qui se définit comme “jupitérien”.

Une école à la main du patronat

L’ensemble du programme de Macron est construit pour renforcer la compétitivité des entreprises sur le marché européen et mondial. Il faut, pour cela, faire sauter “les carcans et les blocages”. Il y a donc une étroite relation entre l’offensive annoncée contre les acquis arrachés par les luttes - lesquels limitent la concurrence entre les salariés - et son programme sur l’enseignement.

Pour obtenir un alignement des salaires vers le bas, il faut faire exploser les garanties collectives (sécurité sociale, retraites, enseignement gratuit et diplômes nationaux, clés de voûte des grilles nationales de qualifications). Tout doit être individualisé.

Pour faire face aux “défis de la France” (entendez ceux auxquels sont confrontés le patronat français), la première mission de l’école, dit Macron, est de “garantir la cohésion sociale” et la “prospérité” (du capital). L’objectif fixé à l’enseignement est de livrer au patronat une main d’œuvre compétente, flexible, dotée de capacités d’engagement, bref des “collaborateurs motivés et investis”.

“Trois premières mesures”

Au soir du premier tour des élections, Macron avait insisté sur la nécessité de “refonder l’école”. Il ne met pas en cause les lois antérieures (lois Fillon de 2005, Peillon de 2013, LRU1 et 2), mais entend franchir un nouveau et important pas, pour mener, en quelque sorte, ces lois à leur terme. Il doit néanmoins prendre en compte les résistances et oppositions. D’où l’annonce de trois mesures pour la rentrée. Elles peuvent paraître cosmétiques. Il n’en est rien.

Aguerri par son expérience, sa bonne connaissance des syndicats et des rouages du ministère de l’Éducation nationale le ministre Blanquer annonce : "Il faut une méthodologie de la réforme : il faut d’abord considérer qu’on ne peut pas tout faire tout de suite et partout. (…) Pour commencer en douceur, il faut donner de la liberté à certains territoires, à certaines structures sur la base du volontariat". On pourra ainsi affaiblir les résistances en organisant la division entre les personnels (voire les parents, les jeunes) pour ensuite généraliser.

Et Blanquer d’indiquer que ces mesures "prendront tout leur sens sur le temps du quinquennat" [2].

Mais pour introduire, à la rentrée, les classes de CP à 12 élèves en REP+, le rétablissement des bilangues, des sections européennes, de l’option latin en collège, la modification des rythmes scolaires, il n’imposera pas "la même façon de faire partout". Tout sera décidé au local, par concertation. Et les moyens seront à 85% issus de redéploiements.

Tout cela va dans le sens d’une autonomie accrue : semaine de 4 jours ou 4 jours ½ selon "les réalités locales" ; ici, une classe dédoublée en CP, et là deux maîtres dans une même classe ; bilangue et latin dans tel collège avec réduction des EPI, etc). Sans compter "l’expérimentation" du recrutement local des enseignants en éducation prioritaire… Autant de nouveaux coups contre le cadre national et de nouveaux outils pour créer la division.

Autonomie et contractualisation

Macron annonce une autonomie et une territorialisation accrue des établissements. Dans les écoles, l’“adaptation aux réalités locales” accroîtra considérablement les inégalités (selon les capacités financières des collectivités, et avec des financements de l’État encore réduits). La main mise des pouvoirs locaux sur l’école en sera d’autant accrue.

En collège et en lycée, l’autonomie totale des établissements s’accompagnera d’une contractualisation des moyens (ceux de l’État comme ceux des collectivités territoriales). Ces moyens seraient attribués sur la base d’un “diagnostic effectué tous les trois ans portant sur l’ensemble des missions de l’établissement (enseignement, progrès des élèves, projets pédagogiques, infrastructures…)”.

Ce pilotage par les objectifs et les résultats permet de dédouaner l’État en ce qui concerne l’échec scolaire en reportant les responsabilités sur l’établissement, sur les professeurs, indépendamment des conditions d’études dans lesquels élèves et professeurs sont contraints de travailler.

On doit noter qu’aux États-Unis, ce système a conduit à de violentes attaques contre l’Éducation publique, et particulièrement à l’encontre des enseignants, accusés d’incompétence notoire : cela a permis de justifier la suppression des écoles publiques pour les remplacer par des "charter schools", écoles gérées par des administrateurs privés et subventionnées par l’État (autrement dit, sous-traitées par lui), et pour finir, sans doute, financées au moins en partie par les parents d’élèves.

Autorité et pouvoirs des chefs d’établissements renforcés

L’évaluation des pratiques pédagogiques sera réalisée lors du diagnostic triennal soumettant désormais toute “liberté pédagogique” aux “objectifs de résultats” quelles que soient les conditions imposées. La récente réforme de l’évaluation des personnels enseignants et la redéfinition de leur métier en mission prendront alors toute leur dimension.

La “part d’autonomie dans le recrutement pour les établissement l’éducation prioritaire” n’est qu’un début. À terme, tous les enseignants seraient recrutés sur profil et évalués par les seuls chefs d’établissement. Et Blanquer de proposer la disparition du corps d’inspecteurs, lequel serait fondu dans un corps unique avec les chefs d’établissement. Autant de propositions qu’il partage avec la très réactionnaire association SOS Éducation qui souhaite que la rémunération des enseignants soit définie en fonction de la difficulté du poste, de leur investissement personnel et de la progression de leurs élèves.

Université : "libérer l’énergie"

Le lien avec les entreprises, les partenariats seront favorisés par une nouvelle étape dans l’autonomie des établissements. Cette "autonomie réelle" donnera aux universités et aux grandes écoles la possibilité de recruter directement les enseignants, de décider librement de leur offre de formations. Le financement public sera attribué sur la base des "résultats" en termes de recherche, de management, et d’insertion professionnelle, les financements privés seront favorisés (partenariats publics-prives…).

La mobilité professionnelle sera favorisée par le développement de la formation universitaire continue.

Quant à la recherche, elle sera aussi soumise aux besoins des entreprises sur le modèle américain. Au-delà de l’ambition, la référence explicite aux pôles d’innovation de la Sillicon Valley ou de la Route 128, tout cela en dit long sur l’avenir que Macron réserve aux statuts des personnels. Les dirigeants des organismes de recherche et des grandes universités seront eux-mêmes recrutés "selon les normes internationales".

Nommée à la tête d’un ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal entend utiliser son goût du "risque" et de "l’expérimentation" pour mettre en œuvre la sélection à l’université, accroître la dérégulation....

Diplômes et qualifications en miettes

Individualisation des apprentissages et des parcours

L’individualisation des apprentissages devrait commencer dès la maternelle. Appuyée sur des supports numériques, l’individualisation des apprentissages sera renforcée, accompagnée de l’aide personnalisée et de stages de remise à niveau l’été Dès la grande section et jusqu’en 3e, en début d’année, chaque élève sera soumis à un bilan individualisé. Ces évaluations numérisées alimenteront le Livret scolaire unique numérique (LSUN) qui répertorie les compétences, résultats scolaires, comportement, assiduité - ainsi que des éléments d’ordre médical, relatifs à l’origine des élèves ou sur le handicap. Ce livret scolaire numérique sera bientôt intégré au Compte personnel d’activité du salarié.

L’individualisation des parcours sera introduite dès le collège jusqu’au lycée. Avec le renforcement de l’autonomie, les chefs d’établissements pourront en donner une déclinaison selon le contexte local. Blanquer envisage des groupes de compétences avec un tri précoce orientant rapidement une partie des élèves vers la voir professionnelle et la vie active.

Cela éclaire le contenu réel du "lire-écrire-compter" (les "savoirs fondamentaux"). Avec "l’individualisation", chaque élève devient, en réalité, responsable de "sa" réussite, et de "ses" échecs. L’accompagnement personnalisé, les stages pendant les vacances, l’appel aux "bénévoles" dans les classes se substitueront de fait aux mesures permettant l’amélioration des conditions d’études : baisse générale des effectifs par classe, recrutement et formation de personnel enseignant bien payé, etc. Au de-là, plus besoin d’une formation qui, appuyée sur des connaissances et des capacités de réflexion, permettent d’avoir une compréhension globale des rapports sociaux, des intérêts contradictoires entre employeurs et salariés, et plus largement des enjeux scientifiques, économiques, sociaux, ou historiques…

Mort du bac et continuum bac-3 / bac+3

Macron annonce une "réforme" du baccalauréat avec "4 matières obligatoires à l’examen final et le reste en contrôle continu afin de rendre possible de nouvelles formes d’organisation du temps scolaire et de nouveaux parcours".

Dans la continuité d’un cycle "école-collège" on créerait des parcours intégrés lycée-licence (mesure préconisée par les instituts Montaigne et Terra Nova et par l’organisme France stratégie). La réorganisation du lycée, appuyée sur la semestrialisation, les modules et le contrôle continu, permettrait une orientation vers des filières longues sélectives (l’université exigeant des prérequis) ou vers des filières professionnelles.

Cette "modernisation" du bac sonne la mort du diplôme comme premier grade universitaire.

Apprentis à vie

Pour Macron le contrat d’apprentissage est trop rigide. Il sera fusionné avec le contrat de professionnalisation en “un contrat unique, souple, adapté à la demande des entreprises et des branches, sans borne supérieure d’âge”. (sic)
La totalité de la taxe d’apprentissage sera réservée au financement de l’apprentissage. L’asphyxie des établissements les contraindra à la transformation de toute la formation sous statut scolaire en apprentissage. C’est l’arrêt de mort des lycées professionnel et leur transformation en CFA sous la coupe des régions et du patronat.

La licence professionnelle, qui n’est aujourd’hui proposée qu’en 3e année de licence, sera préparée sur 3 ans en alternance. L’alternance acquerra ainsi "un quasi monopole de la formation aux emplois de qualification moyenne” : "100 000 places supplémentaires seront crées dans de nouvelles filières courtes professionnalisantes proposées par les lycées, les universités les établissements consulaires en lien avec les branches professionnelles". Et les universités devront développer la formation continue "pour favoriser, tout au long de la vie, les mobilités professionnelles et les reconversions".

Pour appuyer cet "effort", dans le secondaire comme dans le supérieur, des périodes de “pré-apprentissage” seront instaurées et“les branches professionnelles seront associées à la définition des programmes et à l’organisation des formations”.

Le "modèle" anglo-saxon en ligne de mire

Macron veut une “école ouverte aux parents, aux bénévoles, aux associations”.
Retraités, bénévoles, et associations pourraient assurer diverses tâches auprès des élèves. Ainsi, avec un service civique rendu obligatoire durant trois mois, des jeunes interviendraient en maternelle, d’autres feraient des études dirigées en collège, “40 000 étudiants en santé" se consacreraient à "des actions de prévention dans les écoles et les entreprises”  : bien moins coûteux que le personnel statutaire (professeur, infirmier, assistant social, médecin scolaire…).

L’essor des associations "les plus utiles à notre société" favorisé par la création d’un “accélérateur d’associations”) et du "partenariat-public-privé" accompagnera la suppression de 120 000 postes de fonctionnaires. D’où les louanges de Macron adressés à l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) (associations, fondations, sociétés commerciales, mutuelles, coopératives) qui, “avec leurs 12 millions de bénévoles incarnent une société de l’engagement”, “se mobilisent chaque jour pour faire face aux défis de la société”, “combattent l’illettrisme et le décrochage scolaire”, etc.

L’élection du candidat Macron assurée, le 17 mai, le lieutenant Blanquer se déboutonne, indiquant clairement le sens des mesures annoncées : aller vers la privatisation du système qu’il renomme “logique de délégation” ou “statut associatif”. Son idée : créer des "circonscriptions scolaires" avec "réseaux d’établissements" qui "n’auraient pas tous même statut et qui pourraient se compléter" (Faut-il rappeler que la plupart des écoles privées, confessionnelles ou non, choisissent le statut associatif et non commercial : elles sont ainsi exonérées des impôts commerciaux). [3]

Quels combats ?

On voit donc que Macron entend mener jusqu’au bout les réformes antérieures (lois sur l’école, le supérieur, la formation professionnelle…), opérer une véritable rupture, vers la dislocation de l’enseignement public.

Faire face à cette offensive nécessite une mobilisation à la hauteur des enjeux. Permettre que cette mobilisation s’exprime et s’affirme clairement implique d’imposer aux organisations syndicales qu’elles rompent avec le dialogue social et les concertations.

Cela implique aussi, de défendre les revendications. Face à ce processus d’individualisation des diplômes et qualifications, la défense de la valeur nationale des diplômes (en particulier du bac), du système national de qualifications lié aux diplômes est une des premières nécessités.

Article paru dans le n°10 de la revue L’émancipation syndicale et pédagogique (juin 2017)

Notes

[1Jean-Michel Blanquer, L’école de demain, Propositions pour une Éducation nationale rénovée, Odile Jacob, 2016

[3Jean-Michel Blanquer, Il faut avoir une vision systémique, interview donnée le 17/05/2017 à JP Mongin, délégué général de SOS Éducation, puis supprimé curieusement du site (L’article a-t-il été jugé trop dangereux par Macron ?).