Les cités éducatives : offensive contre les enseignants et la jeunesse
(note Émancipation Lyon 69)
La liste définitive des « quartiers » où vont être instaurées des « Cités éducatives » a été confirmée le 5 septembre par le gouvernement. De manière symbolique comme l’a précisé Julien Denormandie, ministre de la Cohésions des territoires, c’est à Clichy-sous-Bois (ville où avaient commencé la révolte des quartiers de 2005) que cette annonce a été faite.
Dans le Rhône sont concernés : Vaulx-en-Velin (Grande Île), Rillieux-la-Pape (Ville Nouvelle), Vénissieux / Saint-Fons (Minguettes-Clochettes), et Lyon 8e (États-Unis Langlet Santy/ Mermoz).
Dès le mois de mai, dans un communiqué, Gérard Collomb s’était félicité que Lyon ait été pré-sélectionnée et annonçait qu’il « mobilisera les services de la Ville pour élaborer le dossier de candidature au label d’excellence Cité éducative ».
Les discours…
Officiellement, il s’agit – dans des quartiers réputés « difficiles » - d’améliorer la réussite à l’école en intensifiant notamment la prise en charge extra-scolaire.
Ce nouveau label a été instauré par le ministère de l’Éducation Nationale et celui de la Cohésion Territoriale. On créera dans ces quartiers des « écosystèmes éducatifs » qui « permettront l’accompagnement personnalisé des enfants vers la réussite depuis le plus jeune âge jusqu’à l’insertion professionnelle, dans tous les temps et espaces de vie. » (cf. le vade-mecum des cités éducatives).
Ces quartiers vont se partager une enveloppe de crédits dédiés, sur trois ans, pour financer des actions scolaires et périscolaires.
Selon Denormandie (qui accompagnait Blanquer), il s’agirait de répondre « aux besoins de l’enfant » en fonction des « spécificités territoriales » car, selon le ministre, « l’éducation ne se limite pas aux frontières de l’école, du collège, ou du lycée ».
Ce dispositif s’appuie sur celui qui a été expérimenté en 2017 à Grigny (Essonne) où, sous couvert de lutter contre les échecs scolaires, on agrège à l’activité scolaire nombre d’acteurs locaux : des entreprises (accueillant des stagiaires), des bibliothèques, les travailleurs sociaux, etc. Il participe de la mise en œuvre des décrets et loi Blanquer sur l’école.
La réalité
L’ensemble des écoles maternelles et primaires d’un secteur sont mis en réseau, regroupées autour d’un collège et sous la responsabilité du chef d’établissement de ce collège. Le ministre réintroduit ainsi les établissements publics des savoirs fondamentaux (ou EPSF) auxquels il avait dû provisoirement renoncer du fait de la mobilisation des enseignants du premier degré l’année dernière.
Il s’agit d’abord d’un dispositif dérogatoire au cadre national de l’école et au cadre national définissant le statut et le travail des enseignants.
Le Vade mecum ministériel des cités Éducatives définit le cadre : Une action locale… avec une nouvelle hiérarchie.
La manière dont ont été « choisies » ces 80 cités, au printemps 2019, est significative :
L’État a d’abord proposé à un certain nombre de communes de « porter le dossier de candidature, en association étroite avec les préfectures et les rectorats. »
Ainsi les trois principaux acteurs sont les communes, la préfecture et le rectorat. Le dossier de candidature, qui devait être déposé en mai, devait contenir :
- un diagnostic de la situation,
- une « stratégie éducative ambitieuse et innovante »,
- les moyens nécessaires à la mise en œuvre.
Il devait aussi contenir « un premier état des partenaires institutionnels ou associatifs mobilisables dans les territoires (conseils citoyens, associations, centres sociaux, établissements d’enseignement secondaire et supérieurs, institutions culturelles, ligues sportives, fondations…) ».
Le dossier devait fournir « des indicateurs de moyens et de résultats […] pour suivre l’avancée et l’impact du projet sur la durée, dans le cadre d’un protocole d’évaluation ».
La gouvernance locale ?« Chacun des trois principaux acteurs désignera un responsable référent de haut niveau : principal de collège pour le rectorat, représentant du préfet pour la préfecture, cadre de haut niveau pour la collectivité »
La mise des écoles sous la tutelle du principal du collège correspond à ce qui était prévu avec les EPSF.
« la désignation d’un Principal de collège comme chef de file pour l’ensemble des établissements relevant de la cité éducative, et à ce titre déchargé d’une partie de la gestion de son établissement. Un chef de projet opérationnel, choisi sur profil dans les équipes locales, et co-mandaté par l’État et la collectivité sera également nommé. »
Cette nouvelle hiérarchie décide de l’affectation des « moyens ».
Quels moyens ?
L’État promet de recruter notamment d’avantage d’ATSEM. Mais il n’est pas question de créer davantage de postes d’enseignants. En réalité, l’objectif du gouvernement est de remplacer des enseignants de maternelle par des ATSEM. L’objectif est aussi d’augmenter le nombre de crèches (publiques ou privées ?) mais surtout d’« encourager le développement de nouveaux modes de garde (maisons d’assistantes maternelles, lieux d’accueil de courte durée, à horaires décalés, jardins d’éveil, etc », ce qui laisse toute place aux structures privées.
Une enveloppe annuelle de 30 à 40 000€ serait attribuée à chaque cité éducative (durant 3 années). Cette somme est à relativiser : cela représente en moyenne 300 euros annuellement pour chaque classe d’école ou de collège. Au maximum, car les divers acteurs locaux vont exiger leur part. En particulier les associations qui cherchent des moyens pour compenser la baisse de leurs subventions.
Le vade-mecum précise : « Les cités éducatives reposent sur le principe du co-financement et d’engagements conjoints de l’Etat et du territoire. (…) Ces fonds peuvent, par exemple, servir à « impliquer les parents et les habitants dans la vie de la cité éducative, notamment à travers les conseils citoyens ou, pour les parents-relais, des formations pluri-partenaires ».
En particulier, chaque année, 15.000€ seront mis à disposition du Principal de collège désigné comme chef de file pour « financer des actions menées dans le cadre de la cité éducative, en privilégiant celles qui impliquent plusieurs établissements et des partenaires extérieurs, et fera l’objet d’un bilan annuel ». En clair : l’école publique manque de personnels et de moyens mais on financera de manière discrétionnaire, clientéliste, des interventions extérieures (associations, entreprises…).
« Un comité d’évaluation » : évaluation et contrôle permanents
« L’animation et le suivi du programme s’appuieront sur un comité d’orientation et d’évaluation (experts, territoires, acteurs), qui rendra compte du déploiement du programme et fera des recommandations dans un rapport annuel aux ministres ».
La liberté pédagogique des enseignants est donc une fois encore restreinte alors que Blanquer l’a déjà mise à mal.
En outre, « les préfectures de régions et rectorats de région académique concernés seront invités à participer à l’instruction des projets, à la programmation des moyens, et au suivi de l’expérimentation. »
Qui plus est, au niveau local : un comité local de pilotage de la cité éducative sera installé, composé de plusieurs acteurs de la cité. Il sera chargé « du suivi opérationnel de l’expérimentation et de son évaluation » : un mot fétiche !
La labellisation « Cité éducative »
Avec cette labellisation, « communauté éducative et parents, mais aussi associations et citoyens, doivent être systématiquement informés de la démarche, invités à en partager les objectives, et impliqués dans sa mise en œuvre et son évaluation. »
En clair : parents et association vont donc « évaluer » le travail des enseignants ; et cette évaluation locale contribuera au salaire au mérite.
À plus ou moins brève échéance, ces cités remplaceront les REP+, mais avec une dimension locale bien plus forte. Un rapport pour une réforme d’ampleur commandé à Pierre Mathiot (lequel est à l’origine de la réforme du bac et du lycée), est déjà sur le bureau du ministre.
Les cités éducatives constituent un dispositif participant à la dislocation du cadre national de l’enseignement : « L’organisation en « cité éducative » permettra de conforter le collège comme pivot des politiques éducatives sur le territoire (…). L’enjeu est de conforter les marges d’autonomie des établissements pour mobiliser les équipes pédagogiques et mieux travailler avec les partenaires (parents, collectivités, acteurs économiques et sociaux, associations…) ».
Et, de gré ou de force, les enseignants (rebaptisés « acteurs » éducatifs) devront se plier à une formation adéquate :
« La formation des acteurs éducatifs, qu’il s’agisse des enseignants ou des professionnels de l’action éducative, chaque fois que possible dans un cadre transdisciplinaire, fera l’objet d’une priorité particulière ».
Cette autonomie ne signifie donc pas une plus grande liberté pédagogique des enseignants, bien au contraire. C’est une soumission à ces autorités locales qui leur est imposée.
« Un pilotage resserré et opérationnel est recommandé en l’adaptant aux ressources humaines présentes sur le territoire. Il s’agira par exemple de mobiliser une « troïka » de 3 responsables mandatés intuitu personae par leur institution, avec une maîtrise d’ouvrage renforcée : le chef d’établissement, ordonnateur du fonds éducatif partenarial, spécifiquement mandaté pour coordonner la montée en charge de l’objectif 1 (conforter l’école) ; un directeur général adjoint de la commune, pour animer en priorité l’objectif 2 (continuité éducative) ; un représentant désigné par le préfet, responsable notamment de l’objectif 3 (champ des possibles). » (Extrait du vade-mecum).
Se mettent donc en place un nouveau contrôle et une évaluation omniprésente des enseignants, de leurs projets mais aussi des élèves, exacerbant la concurrence entre les enseignants (évaluation redoublée par une hiérarchie multiple et à plusieurs niveaux) et aussi entre les élèves (propre à renforcer leur sentiment d’échec).
Ainsi, « Une attention particulière devra être apportée aux modalités par lesquelles les parents, les habitants, les jeunes eux-mêmes pourront partager les valeurs, contribuer à définir les objectifs, être informés et s’impliquer dans les actions, et participer à leur évaluation ».
Le protocole d’évaluation devra s’attacher notamment à « mesurer la fluidité (sic) des relations professionnelles au sein de la communauté éducative » : en clair, c’est la polyvalence des enseignants qui devront circuler entre premier et second degré, la possibilité que des ATSEM remplacent des enseignants, et la possibilité donnée à d’autres « acteurs » (associations, entreprises) d’intervenir dans l’enseignement.
Au final, les cités éducatives s’inscrivent dans la continuité de la politique de baisse des moyens attribués à l’éducation prioritaire. Elles relèvent d’une politique de contractualisation contradictoire à un service public national, sont en cohérence avec les objectifs d’autonomie accrue, et elles poursuivent à une échelle bien supérieure les tentatives de confusion entre le scolaire et le périscolaire.
Pour ces raisons, les syndicats sont hostiles à ce nouveau dispositif.
Ainsi, la fédération SUD éducation (extraits du communiqué du 6 septembre) :
SUD éducation dénonce une nouvelle mesure de démantèlement de l’éducation prioritaire
Ce dispositif s’inscrit dans le cadre du démantèlement de l’éducation prioritaire, et plus largement du service public d’éducation, à travers notamment la généralisation de la contractualisation entre les établissements et l’administration. C’est cette contractualisation qui sera le déterminant de l’attribution de ces nouvelles ressources en fonction d’une prétendue “stratégie ambitieuse et partagée”.
Le ou la principal-e disposera d’un fonds de 30 000 euros qu’il lui sera possible de dispenser, aux écoles, mais aussi à des associations ou bien même aux entreprises qui accueillent des stagiaires. C’est donc bien un système opaque et clientéliste qui se dessine à travers les cités éducatives.
Il est impossible de ne pas voir dans ce nouveau dispositif une tentative pour remplacer le dispositif actuel d’éducation prioritaire (…).
SUD éducation dénonce cette manœuvre du ministre Blanquer, et appelle les personnels à se mobiliser en cette rentrée pour y faire échec et défendre le service public d’éducation ».
Le SNUIPP (conseil national du 7 mai 2019) indique de son côté :
L’éducation prioritaire « ne peut pas être le champ de création d’établissements interdegrés ou cités éducatives, qui générerait des économies, qui éclaterait le service public d’éducation, qui permettrait à l’État de se désengager, et qui servirait de cheval de Troie pour la mise en place des EPLESF ».
Et le Snudi-FO précise (mai 2019) :
Avec les cités éducatives, il s’agit de déroger aux statuts et à la réglementation nationale pour imposer un fonctionnement d’un nouveau type sous l’autorité du chef d’établissement du collège. À l’instar des EPSF prévus par la loi Blanquer, la mise en place des cités éducatives nécessite que les maires des communes concernées donnent leur accord. Une convention doit être signée entre les maires et l’État.
Dans l’académie, en fin d’année dernière, les IA se sont fait l’écho d’une sortie progressive des établissements REP. Et les principaux de collège « chefs de file » des cités éducatives ont été nommé à cette rentrée. Il y a donc nécessité d’agir dans l’unité contre la mise en place des cités éducatives, et se prononcer pour la suppression de ce dispositif.
2 octobre 2019
Le vade-mecum des cités éducatives :
https://www.cohesion-territoires.go...