Le “geste politique” de Gisèle

Durant les quatre mois du procès des 51 hommes qui ont participé aux viols de Gisèle Pélicot, les murs d’Avignon se sont recouverts de collages et de banderoles contre les violences sexuelles et pour les droits des femmes. Nombreuses sont les femmes de la région, mais aussi d’Espagne, d’Allemagne, d’Angleterre… qui, sur les murs de la ville et les remparts ont transcrit trois aspects du combat de Gisèle. Aujourd’hui encore, les murs d’Avignon font écho à ce combat.

Qu’est-ce qu’un viol ?

Le combat de Gisèle a permis que ce procès soit recentré sur les agresseurs. Me Antoine Camus, l’un de ses avocats a tenu à saluer son attitude. En choisissant “de renoncer au huis clos”, elle “n’a pas seulement voulu donner à voir la crudité d’un viol, mais a voulu donner à voir comment en 2024 on défend un viol”.

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Car “défendre un viol”, c’est commencer par définir clairement ce qu’est un viol. Dominique Pélicot, l’ex-mari de Gisèle, a clairement avoué que le viol est une prise de pouvoir : “c’était pour soumettre une femme insoumise, c’était mon fantasme”.

Or, en septembre le maire de Mazan estimait, lors d’une déclaration à la BBC que “l’affaire aurait pu être plus grave”, car il n’y avait pas “mort d’homme”. Même si, suite à de vives protestations, notamment dans la presse étrangère, il a ensuite dit “regretter” ses propos, ces paroles attestent de l’ordre patriarcal qui ordonne toujours la société.

Et les plaidoiries de plusieurs des avocats qui défendaient les hommes qui ont participé à ces viols se sont inscrites dans cette même conception.

L’un d’eux a affirmé : “Il y a viol et viol et, sans intention de le commettre, il n’y a pas de viol”.

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Or, le viol est un crime systémique. “Un viol est un viol”  : les nombreuses inscriptions et banderoles affichées sur les murs d’Avignon ont appuyé la lutte menée par Gisèle dans la salle d’audience, face aux juges et aux 51 hommes qui l’avaient violée.

Cette mobilisation fut permise par la décision de Gisèle de renoncer au huis clos : “un geste presque politique” a souligné Me Camus. Expliquant que Gisèle Pelicot n’avait pas choisi par hasard d’être défendue par deux hommes, il a conclu sa plaidoirie en disant : “Gisèle Pelicot a choisi, malgré ce qu’elle a subi, de transformer cette boue en matière noble et de dépasser la noirceur de son histoire pour y trouver un sens. Elle compte désormais sur la cour pour l’y aider” [1]

L’humiliation de la victime par la justice

Traitée par ces hommes comme “un bout de viande”, “une poupée de chiffons”, Gisèle a dénoncé “une société machiste et patriarcale”.

Mais elle a été humiliée aussi par nombre de plaidoiries des avocats des hommes qui l’ont violée, car ils ont sous-entendu qu’elle aurait pu être consentante, alors qu’ils savaient qu’elle était sédatée. Ces plaidoiries ont démontré comment la culture du viol imprègne le système judiciaire.

“Je trouve cela insultant, et je comprends pourquoi les victimes de viol ne portent pas plainte” a déclaré Gisèle.

Car cette prégnance de la “culture du viol”, le fait que la justice continue à se focaliser sur le comportement des victimes plutôt que sur les actes des agresseurs se traduit par des statistiques accablantes en termes d’impunité.

Sur 168 000 viols ou tentatives de viols chaque année, seules 6 % des victimes de viol ou d’agression sexuelle parviennent à porter plainte. Et moins de 0,7 % des viols aboutissent à une condamnation [2].

Le deuxième avocat de Gisèle, Me Stéphane Babonneau a fait un parallèle entre ce “procès d’Avignon” et celui d’Aix-en-Provence, en 1978, où l’avocate Gisèle Halimi avait fait reconnaître le viol comme un crime. Ce procès, a affirmé Me Stéphane Babonneau, “fera partie du testament qu’on transmettra aux générations futures”, qui “découvriront Gisèle Pelicot, son courage, le prix qu’elle a payé pour changer la société”.

Pour que la honte change de camp

Avec le combat de Gisèle, la honte a changé de camp.

C’est ce qui s’est exprimé dans les rassemblements et les applaudissements qui l’ont accueillie durant les onze semaines de procès lors de son arrivée au tribunal d’Avignon.

La chorale féministe, Le chant des déferlantes du Planning familial, a animé les rassemblements devant le Palais de Justice.

Des rassemblements se sont tenus dans d’autres villes dont les murs ont aussi porté des messages de soutien.

“Bienvenue à nos sœurs en soutien à Gisèle”

La presse mondiale a rendu hommage à Gisèle, les journaux britanniques, des tabloïds aux grands journaux, la qualifiant de “femme la plus courageuse du monde”.

Faire admettre que les femmes et leurs corps ne sont pas à disposition d’autrui est un long combat qui doit se poursuivre.

“Vos témoignages m’ont bouleversée” a dit Gisèle, le 19 décembre, devant la salle d’audience, après le verdict, “et j’y ai puisé la force de revenir chaque jour pour affronter ces longues journées d’audience”. “Ce procès était une épreuve difficile”. “J’ai voulu en ouvrant les portes de ce procès le 2 septembre que la société puisse se saisir des débats qui s’y sont tenus. Je n’ai jamais regretté cette décision”.

À l’heure où se développent de nouvelles méthodes de violences faites aux femmes, les aspects sociaux et politiques de cette violence doivent être mis en évidence.

L’actualité récente le rappelle. Suivant la proposition faite par Macron en mars dernier, un rapport parlementaire déposé à l’Assemblée en janvier 2025 propose d’intégrer, dans le Code pénal, la notion de consentement dans la définition du viol.

Pour la présidente du Collectif féministe contre le viol, Emmanuelle Piet, poser la question du consentement revient à “détourner le regard sur la victime alors qu’on devrait s’interroger sur la stratégie de l’agresseur. Un violeur est quelqu’un qui prend son pied à détruire, ça n’a rien à voir avec la sexualité”.

C’est ce que rappelle l’appel du collectif d’organisations, de personnalités et de militantes féministes publié dans une tribune le 4 octobre 2024 [3] :

“Ce qui pose problème devant le peu de condamnations pour viol, ce n’est pas la définition du viol, qui est satisfaisante, mais les partis pris colportés par la justice qui entérinent et confortent les inégalités femmes hommes, les hiérarchies, les dévalorisations, bref le patriarcat : les femmes ne sont en fait que des objets sexuels au service des hommes et donc ces pseudo « rapports sexuels » sont dans l’ordre naturel des choses. Le viol est un outil de contrôle social, garant de l’ordre patriarcal. […] Nous devons remettre le criminel au centre du crime. Dévoiler ses stratégies au grand jour”.

Faisons-le connaitre. Discutons-en.

Hélène Bertrand (Lyon, 14 février 2025)

Photos Émancipation : Sur les remparts et murs d’Avignon.

Article paru dans la n° 7 de mars 2025 de L’Émancipation syndicale et pédagogique