Covid19 : pour une veille syndicale de la situation sanitaire
Lors du mouvement contre la réforme des retraites voulue par Macron, nombre de débats visaient à démontrer que les chiffres avancés par le gouvernement, pour faire passer sa réforme, étaient faux. Ces débats se fondaient sur des démonstrations et arguments fournis notamment par les directions syndicales.
Dans le cadre de l’épidémie de Covid19, des chiffres sont, depuis cet automne 2020, quotidiennement fournis par le gouvernement et relayés par nombre de médias : en particulier, le nombre de cas positifs aux tests PCR (qui sert de base à plusieurs indicateurs) et le nombre de morts du Covid. Or les expressions syndicales visant à comprendre et expliquer, a minima, l’origine des chiffres assénés par le gouvernement Macron sont très rares. S’il est indéniable que les conditions de travail, dans les hôpitaux et dans les établissements scolaires sont catastrophiques, les données chiffrées qu’utilise le gouvernement Macron pour expliquer l’état actuel de l’épidémie sont-ils le reflet exact de celle-ci ?
Des tests PCR biaisés
Très souvent le nombre de cas positifs aux tests PCR (effectués sur des prélèvements naso-pharyngés) est assimilé au nombre de « nouveaux cas contaminés ». Or cette assimilation est inexacte, pour plusieurs raisons.
Il existe tout d’abord des biais biologiques. Il a ainsi été montré que le virus, même vaincu par l’organisme, laisse des traces non contaminantes au niveau naso-pharyngé pendant 12 semaines [1]. Par conséquent, un personne porteuse du virus en semaine 1, qui ne se fait pas tester en semaine 1 mais qui se fera tester en semaine 10 (non parce qu’elle est malade mais parce qu’elle est cas contact), se retrouvera alors étiquetée « nouveau cas contaminé » en semaine 10, ce qui biaise la représentation de l’épidémie à ce moment là.
Il existe également des biais dus à la technique d’analyse des prélèvements naso-pharyngés. Par exemple, la quantité de molécules virales prélevées dans les fosses nasales (molécules virales d’ARN ou fragments) doit être démultipliée afin de pouvoir être détectée par les outils humains. Cette amplification du signal viral se fait en suivant une technique appelée RT-PCR. Or selon les laboratoires, cette technique utilise des outils et procédés différents qui n’ont pas été normalisés par le gouvernement français et qui présentent, souvent, de trop forts degrés d’amplification du signal viral initial, ce qui brouille l’interprétation des résultats.
Ce problème vaut pour nombre de laboratoires à l’échelle mondiale. Ainsi au Massachusset, 85 à 90 % des personnes qui avaient été testées positives après une amplification du signal de 40 cycles, se sont retrouvées négatives après une amplification du signal de 30 cycles. Et un médecin de conclure qu’aucun proche de ces personnes n’aurait dû être considéré comme cas contact [2]. En France, les laboratoires utilisent également, en grande majorité, de forts degrés d’amplification du signal viral initial (entre 40 et 45 cycles d’amplification en moyenne), ce qui semble indiquer que parmi les personnes au test « positif », une très grande proportion sont non symptomatiques et non contagieuses. [3]
Face aux problèmes rencontrés par les tests-PCR, la Société Française Biomédicale a émis fin septembre des recommandations, mesurées, visant notamment à réduire le degré d’amplification du signal viral et à prendre en compte ce degré d’amplification dans le rendu des résultats par les laboratoires, et donc donner une idée de la contagiosité de la personne testée « positive ». Ces recommandations ont été ignorées par la Direction générale de la Santé, qui avait pourtant saisi cette Société pour avis. Pourquoi ? [4]
Des chiffres de mortalité imprécis
Quotidiennement est également donné un nombre de morts Covid : mais dans la réalité, s’agit-il du nombre de personnes mortes à cause de la maladie Covid (morts du Covid) uniquement ou du nombre de personnes décédées de cette maladie et de personnes décédées pour d’autres raisons mais avec un test positif (morts du Covid et morts avec le Covid) ?
Santé Publique France indique par exemple qu’il y a eu entre le « 1er mars et le 03 novembre 2020, 38 289 décès de patients COVID-19 » et que depuis le 1er mars, 15 469 certificats de décès lui ont été remontés par voie électronique. [5] Or si l’on regarde de près ces données officielles, ces certificats de décès de « patients Covid » remontés par voie électronique, certains présentent la mention « Covid confirmé » et d’autres la mention « Covid » sans précision. Ainsi le certificat de décès d’une personne entrée à l’hôpital avec un cancer, testée positive au test PCR Covid19 à son entrée mais ne présente pas de symptôme Covid, présentera la mention « Covid » sans précision. Et la proportion de ces mentions sur les certificats remontés par voie électronique n’est pas anodine : elle atteint au moins le tiers des décès avec mention Covid. Pourquoi dans les chiffres fournis quotidiennement ces précisions ne sont pas indiquées ? Qu’en est-il des certificats de décès qui ne sont pas remontés par voie électronique ?
Là encore, plusieurs remontées de médecins -indiquant que des certificats mentionnant « Covid » ont été attribués à des personnes décédées pour d’autres raisons- interpellent.
Ainsi il semble exister un écart entre la mortalité attribuée par le gouvernement et les médias au Covid et la mortalité réellement liée au Covid. Une différence qu’il serait important d’estimer précisément afin que tout un chacun puisse mieux mesurer le taux de létalité du coronavirus Sars-Cov2.
Quels indicateurs ?
Face à l’imprécision des chiffres de mortalité liés au Covid et l’attribution fallacieuse du nombre de tests positifs à un nombre de personnes atteintes du Covid, d’autres chiffres peuvent être pris en compte, pour ce faire une idée indirecte de l’évolution de cette maladie dans la population, et avoir une vision plus fiable de certains problèmes de société à un moment donné.
C’est le cas du taux d’incidence de consultations pour une Infection Respiratoire Aïgue (IRA, qui peut être due au Covid, mais aussi à des rhinopharyngites, à la grippe…) remonté par le réseau Sentinelle et donc fondé sur des diagnostiques médicaux. La semaine du 26 octobre, cette incidence était de 179 cas pour 100 000 (et parmi les 26 patients ayant eu un prélèvement, 9 ont été positifs pour le coronavirus du Covid, et 8 pour un rhinovirus), contre 450 cas pour 100 000 la semaine du 23 mars. Cette même semaine du 26 octobre, le taux d’incidence fondé sur les « tests PCR » Covid19 relayé par les médias était de 486 pour 100 000 : un chiffre bien supérieur aux IRA diagnostiquées. [6] Et pour cause….
C’est le cas de la surmortalité globale. Une surmortalité est une différence positive anormale entre une mortalité à un temps donné et une moyenne de mortalité calculée sur plusieurs années. Si la moyenne est calculée sur les données des 3, 5 ou 10 dernières années, l’interprétation des résultats concernant une surmortalité peut varier. Si l’on compare l’année 2020 à une mortalité moyennée sur cinq ans (2014-2019), les chiffres de l’Insee montrent clairement une surmortalité en mars et avril 2020 (environ 2100 morts/jour contre une moyenne habituelle de 1700 morts/jours, soit +400 morts/jours), qui est à lier au Covid. En août, on observe un étroit pic de surmortalité au moment de la canicule (environ +200 morts/jour pendant 10 jours). En septembre et en octobre, c’est respectivement + 120 morts/jours et +150 morts/jours, par rapport aux moyennes de 2015-2019 (avec, pour les dix derniers jours d’octobre + 300 morts/jour). [7] Pour l’European mortality monitoring activity, depuis le mois de mai, les seules semaines du 26 octobre et 2 novembre 2020 présentent un excès de mortalité fort en France (calcul du z-score), comparable à plusieurs hivers ; plusieurs semaines de mars et avril 2020 présentaient quant à elles de forts à extrêmement forts excès de mortalité. [8]
Des chiffres hospitaliers embrouillés
Santé Publique France et les médias communiquent sur le « taux d’occupation des Covid en réanimation ». Sauf qu’il s’est avéré que ce taux était en fait calculé en divisant le nombre de « cas Covid » occupant des lits en soins critiques (les soins critiques comprennent 19 600 lits répartis en trois secteurs : réanimation, soins intensifs et surveillance continue) sur le nombre de lits de réanimation (5400 lits)… Pour sûr, entre 4000 « cas Covid » répartis sur 5400 lits de réanimation (74 % d’occupation) et 4000 « cas Covid » répartis sur 19600 lits de soins critiques (20 % d’occupation), la différence est de taille ! [9] Sachant qu’en plus, des interrogations demeurent sur le mode de comptabilité des « cas Covid » (ce nombre comprend-il les personnes entrées à l’hôpital pour une autre maladie grave, et testées positives pour Sars-Cov2, mais non symptomatiques ?), et que le nombre de lits de réanimation est parfois augmenté… au détriment de l’accueil d’autres patients. Bref, l’illisibilité est totale.
Le degré d’occupation des lits en soins critiques et le degré d’hospitalisation complète pourraient donner une indication de la situation dramatique dans les hôpitaux, en comparaison avec les années passées. Mais peut-être que de tels chiffres montreraient à quel point l’hôpital et certains services sont, chaque jour, au bord de l’explosion ? Et incapables d’encaisser la moindre « petite crise » (comme ce fut le cas à l’hiver 2019 lors de l’épidémie de bronchiolite) et donc encore moins une crise générée par une nouvelle maladie comme le Covid19.
Pour mieux comprendre les causes de la crise sanitaire de cet automne 2020, et le rôle du Ségur de la Santé, il faudrait bien entendu mentionner l’évolution totale du nombre des lits d’hospitalisation complète ces dernières années (469 000 lits en 2003, 400 000 en 2017, 392 000 en 2019) et ces derniers mois (combien de lits fermés depuis le Ségur de la Santé ?, combien de lits encore sur la sellette ?) ainsi que l’évolution de l’effectif des personnels soignant, démissions et postes vacants compris. Certaines manifestations comme le 7 novembre à Toulouse avec le slogan « Non aux mesures liberticides, des moyens pour la santé ! », montrent que les soignants ont une claire conscience des raisons profondes des difficultés actuelles.
Veille syndicale sanitaire et revendications
Alors que plusieurs pays (USA, Espagne…) se fient de moins en moins aux tests pour comprendre la dynamique de l’évolution du Covid dans leur pays, l’entêtement du gouvernement interpelle : Véran annonçait le 8 novembre qu’il souhaitait tester « encore plus massivement dans les semaines à venir ». Et du côté des hôpitaux, les parlementaires votaient, la veille du reconfinement et en première lecture, le projet de loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2021, qui prévoit notamment près de 2 Milliards d’euros d’économie. [10]
Il est ainsi urgent que les directions syndicales mettent en place leur propre veille sanitaire, qu’elles publient nationalement leurs propres données chiffrées et leurs propres analyses, indépendantes de celles du gouvernement afin de fournir aux salariés un ensemble de sources fiables, et que tout un chacun puisse comprendre le plus justement possible la situation et la cause actuelle de la crise sanitaire (en lien avec le Covid19 et la casse de l’hôpital public).
Si les revendications du personnel soignant sont clairement formulées (comme le recrutement massif de personnel, l’augmentation des salaires et du nombre de lits), le gouvernement joue avec les chiffres du Covid19 afin de masquer la situation catastrophique dans les hôpitaux dont il est, avec les gouvernements précédents, responsable. Il appartient ainsi aux directions syndicales d’effectuer une veille sanitaire sur la situation dans les hôpitaux, et la comparer avec les années passées.
Il revient également aux syndicats de formuler des analyses et exigences claires concernant la politique sanitaire d’urgence. Il est par exemple nécessaire que ces derniers formulent des exigences concernant les tests effectués. Par exemple, que les laboratoires indiquent la charge virale mesurée lors de ces tests, ce qui permettrait d’estimer la contagiosité de la personne testée ; qu’il soit mis fin au remboursement par la Sécurité Sociale des tests sans ordonnance (car c’est au gouvernement de payer le coût de ses décisions) ; que tous les bénéfices effectués par les laboratoires par ces tests soient reversés aux hôpitaux. Mais il s’agit aussi de dénoncer les mesures liberticides (confinement, loi d’Urgence sanitaire) et de demander leur retrait immédiat.
Dans l’enseignement, la suppression de postes et les réformes successives ont entraîné une dégradation des conditions d’enseignement et des conditions sanitaires. La crise liée au Covid19 met en évidence que les classes, cantines, établissements bondés, les suppressions de personnels sont incompatibles avec des mesures d’hygiènes minimales et encore moins avec le respect des gestes barrières. La situation sanitaire doit amener les syndicats à une réflexion et à formuler des exigence claires et nationales sur les mesures d’hygiènes minimales à exiger dans les établissement en classe : définir en plus d’un nombre maximal d’élèves par classe, d’un espace minimal par élève et par classe, d’un espace minimal par élève dans les cours, préaux et cantine, d’un nombre minimal de personnel de vie scolaire, de personnel TOS par élève et selon la superficie de l’établissement, en prenant en compte certaines spécificités si nécessaire. Et bien entendu un minimum d’infirmièr(e)s et de médecins scolaires.
Ces informations et revendications ne pourront être qu’un point d’appui pour se battre et imposer des conditions de travail descentes (d’un point de vue sanitaire ou non). Bien entendu de telles formulation ne peuvent être compatibles avec la poursuite de discussion avec le gouvernement, et notamment avec le ministre Blanquer dans le cadre du Grenelle de l’enseignement, qui légitiment une politique inacceptable.
Laure Jinquot, le 12 novembre 2020
Photo : manifestation Toulouse, 7 novembre 2020
Article paru dans L’émancipation syndicale et pédagogique n° 4, décembre 2020
http://www.emancipation.fr/2020/12/10/pour-une-veille-syndicale-de-la-situation-sanitaire/