Assassinat de l’enseignant Samuel Paty : qu’a fait l’institution ?
Communiqué d’Émancipation Lyon-69, 22 octobre 2020
Assassinat de l’enseignant Samuel Paty : qu’a fait l’institution ?
Samuel Paty, enseignant d’histoire-géographie, a été assassiné le 16 octobre 2020 pour avoir exercé son métier et notamment enseigné la liberté d’expression dans le cadre du programme du collège, pour avoir usé de sa propre liberté d’expression et de sa liberté pédagogique en montrant, au milieu d’autres illustrations, deux caricatures du journal satirique Charlie Hebdo.
La liberté d’expression est un droit fondamental et doit être défendue, au sein de l’école mais également partout dans le monde du travail. Pour les enseignants cette liberté de même que la liberté pédagogique sont décisives dans la formation des élèves, la formation de leur esprit critique et de leurs capacités d’analyse ; la liberté pédagogique est indispensable pour pouvoir adapter ses séquences en fonction du type de classe, des élèves, et du moment de l’année.
Pourtant, ces dernières années, les réformes et politiques gouvernementales n’ont eu de cesse de chercher à remettre en cause la liberté d’expression et la liberté pédagogique des enseignants. À la dégradation des conditions d’enseignement se combinent les multiples injonctions subies par les professeurs pour qu’ils enseignent selon de « bonnes pratiques » imposées, ce qui les prive de plus en plus de leur liberté pédagogique. À cela s’ajoutent les pressions des parents, incités par les réformes à « entrer dans l’école », ce qui favorise les contestations dans toutes les disciplines.
Le statut des enseignants est un verrou qui limite encore les atteintes à la liberté d’expression et à la liberté pédagogique des enseignants ; or, E. Macron et J.M. Blanquer mettent en cause ce statut, et c’est ce qui est porté à l’ordre du jour du « Grenelle des professeurs ».
L’assassinat abject de Samuel Paty met en exergue plusieurs problèmes auxquels l’école et les enseignants sont confrontés. Le premier est celui du développement de réseaux politico-religieux ultra-réactionnaires, dont l’assassin, ou le militant islamiste Abdelhakim Sefrioui, font notamment partie. Le deuxième est celui du comportement de l’institution qui souvent, quand elle ne les broie pas, laisse souffrir les enseignants face aux problèmes qu’ils rencontrent, dans l’indifférence et le mépris.
L’assassinat de Samuel Paty soulève ainsi de nombreuses questions : pourquoi un principal de collège accepte-t-il de recevoir un parent d’élève accompagné d’une personne extérieure à l’établissement (en l’occurrence un militant islamiste) ? Pourquoi un inspecteur a-t-il été convoqué pour « rappeler au professeur les règles de “laïcité et de neutralité” » (note des renseignements territoriaux 78 du 12 octobre) ? Pourquoi est-ce l’enseignant et non l’institution qui a dû porter plainte pour diffamation ? Quelles suites ont été données à la note des renseignements en date du 12 octobre ?
L’académie de Versailles reconnait que la chef d’établissement, qui représente dans le collège l’administration centrale, a reçu en même temps que le parent une personne qui se serait présentée comme représentant des imams. Elle ne fait à ce sujet aucun commentaire : serait-il donc dans les fonctions d’un chef d’établissement de recevoir les représentants (réels ou imaginaires) d’une autorité religieuse qu’il s’agisse d’imam ou de rabbin, de curé ou de pasteur et cela pour entendre des critiques sur le cours d’un enseignant ? Depuis quand l’école publique est-elle ouverte aux inquisiteurs en tout genre qui prétendent au nom de leur religion dicter aux enseignants le contenu de leurs cours ?
Connaissant les faits depuis le début, semble-t-il, l’académie n’a pas organisé la protection fonctionnelle de Samuel Paty conformément au statut des fonctionnaires (article 11). Elle s’est contentée de lui recommander de porter plainte alors que c’était à elle de le faire.
Le ministre de l’Éducation nationale a demandé l’ouverture d’une enquête de l’inspection générale « dans une volonté de transparence » sur ce qui s’est passé avant l’assassinat. Mais le ministère ne peut être en même temps juge et partie. Il appartient aux syndicats de réaliser eux-mêmes leur propre enquête et d’exiger et d’obtenir de l’administration toutes les informations qui leur sembleront utiles.
La ligne politique du gouvernement est d’expliquer que l’institution a été à la hauteur et qu’un tel assassinat n’était pas prévisible, rejetant la cause sur les réseaux sociaux que l’école ne contrôle pas, et prévoyant de nouvelles mesures liberticides. Ainsi, le 18 octobre (sur France Inter), J.M. Blanquer expliquait qu’avant l’assassinat de Samuel Paty, « l’incident était, pour ainsi dire, clos ».
Outre le manquement de la collectivité publique quant à son devoir de « protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu’une faute personnelle puisse lui être imputée » (article 11 du statut de fonctionnaire), le gouvernement porte également une part de responsabilité dans cette situation avec la recrudescence de discours visant à diviser les travailleurs en stigmatisant certaines parties de la population (discours de Mulhouse sur le « séparatisme », sur les migrants).
De même le gouvernement prétend combattre certains réseaux ultra-réactionnaires considérés comme tolérants à l’égard du terrorisme ou jugés hostiles à la République alors qu’en même temps, il entretient les meilleures relations économiques et politiques avec des États qui soutiennent ou tolèrent ces organisations (Arabie Saoudite, Turquie, etc.).
On ne peut accepter toute instrumentalisation politique du crime épouvantable dont Samuel Paty a été la victime. On ne peut accepter l’amalgame entre les assassins et les millions de personnes de confession musulmane. Or, le gouvernement cherche à utiliser l’assassinat de Samuel Paty afin de former une union sacrée derrière sa politique, pour renforcer et faire avaliser son projet de loi contre les « séparatismes », aller plus loin encore dans la mise en cause de la loi de séparation des Églises et de l’État.
On ne peut pas accepter la réponse d’E. Macron qui brandit la surenchère sécuritaire, alors que les enseignants souhaitent que leur liberté d’expression et leur liberté pédagogique soient garanties et que cesse la politique de dislocation de l’Enseignement public.
La défense des libertés démocratiques, et notamment de la liberté d’expression, la défense de la liberté pédagogique ne peuvent pas passer par une union sacrée avec E. Macron et J. M. Blanquer qui n’ont eu de cesse de prendre des mesures liberticides (pour ne mentionner que la dernière en date, le couvre-feu) et de museler la liberté pédagogique des enseignants. Elle passe par un combat ouvert contre leur politique. Elle passe par une critique sans concession des manquements de l’institution dans la défense des fonctionnaires… une critique qui passe par le combat pour mettre fin aux pressions exercées par cette même institution contre leur liberté d’expression.