21 novembre 1831 “Vivre en travaillant mourir en combattant”
Le 21 novembre 1831, les canuts se révoltent à la Croix-Rousse, alors commune indépendante. Ils dressent des barricades, marchent sur Lyon.
Sur les drapeaux qu’ils brandissent, on peut lire :
“Vivre en travaillant mourir en combattant”
Un mois plus tôt, le 11 octobre, ils ont obtenu du Conseil des Prud’hommes que soit élaboré un tarif : même rémunération pour une pièce tissée, ce qui limite la concurrence entre-eux. Cet accord a été ratifié par le maire et par le préfet.
Un contrat collectif ! Pour la première fois, semble-t-il, dans l’histoire du mouvement ouvrier, l’expression apparaît. Quel chemin parcouru depuis 1789. En 1791, la loi Le Chapelier défend la convention libre d’individu à individu (le contrat individuel porte le nom de « contrat de louage de services) :
“Si contre les principes de liberté de la constitution, des citoyens attachés aux même professions, arts et métiers, prenaient des délibérations, faisaient entre eux des conventions tendant à refuser de concert ou à n’accorder qu’à un prix déterminé le secours de leur industrie ou de leurs travaux, lesdites libérations et conventions accompagnées ou non de serment , seront déclarées inconstitutionnelles, attentatoires à la liberté et à la déclaration des droits de l’homme et de nul effet”.
Pour la bourgeoisie, l’accord sur le tarif arraché à Lyon par les canuts est intolérable. Il lui faut néanmoins un mois pour que l’État casse la décision du préfet. Tel est l’enjeu de la mobilisation des canuts.
Le 22 novembre, les canuts prennent possession de la caserne du Bon Pasteur, pillent les armureries et la garde nationale passe de leur côté. Le maire de Lyon s’enfuit et les insurgés occupent l’Hôtel de ville.
De Paris, le Président du Conseil, Casimir Périer envoie 20 000 hommes. Le duc d’Orléans, et le maréchal Soult s’installent à Trévoux. Ils rentrent dans Lyon le 3 décembre. La violente bataille fait une centaine de morts, et des blessés par centaines. Une garnison s’installe dans la ville et la garde nationale est dissoute.
S’organiser en défense des intérêts communs
L’accord collectif est cassé ; il n’y aura pas d’augmentation du tarif. Les canuts ont perdu. Un an auparavant, lors de la révolution de 1830, la bourgeoisie avait utilisé le prolétariat comme masse de manœuvre pour ses propres objectifs, portant au pouvoir Louis Philippe. La violente répression conduite par l’État est organisée au compte des intérêts généraux de la bourgeoisie. Parce qu’ils défendent leurs intérêts de classe, les canuts représentent une menace réelle et directe des intérêts bourgeois. L’unité et la prise de conscience qui en découlent sont un danger pour la bourgeoisie.
Trois semaines avant cette insurrection est créé L’Écho de la Fabrique, premier journal ouvrier. Il paraîtra, sans interruption, sur huit pages, en deux colonnes, jusqu’en mai 1834. Du 30 octobre au 4 mai 1834, il tient la chronique des séances du Conseil des Prud’hommes, développe une réflexion sur « l’économie sociale », multiplie les conseils en jurisprudence et aussi sur d’autres questions comme « l’hygiène » et présente poèmes, chansons, charades… Semaine après semaine, les chefs d’ateliers et ouvriers en soie, vont s’entendre, s’informer ; ils proposent des “lectures prolétaires”, polémiquent avec les journaux rivaux, notamment le Courrier de Lyon , organe de la préfecture. “Ce qui est nouveau au lendemain de 1830, c’est cet effort singulier d’une classe pour se nommer, pour exposer sa situation et répondre au discours tenu sur elle” (1).
La mobilisation est écrasée dans le sang. Mais la conscience des intérêts communs qu’ont les ouvriers face à la bourgeoisie va cheminer. Et avec elle, la nécessité de l’association des ouvriers entre eux, de l’organisation pour la défense de leurs intérêts communs contre l’ennemi de classe. Cela s’exprimera avec force en 1848 : jusqu’alors, les mobilisations ouvrières sont “récupérées” par la bourgeoisie. Désormais, la classe ouvrière désormais combat sous son propre drapeau, ses propres exigences, en particulier « le droit au travail ».
Hélène Bertrand
(1) J. Rancière, La parole ouvrière (1830-1851), 1970
http://echo-fabrique.ens-lyon.fr/do...